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Nightswimming - Page 60

  • (Encore) Quatre films de Gérard Courant

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    Troisième voyage dans la filmographie de Gérard Courant (le premier ici, le deuxième ), toujours grâce à son aimable concours.

    Les deux films les plus anciens de ce lot procurent un sentiment comparable, celui d'assister à une expérience limite bouleversant notre rapport au récit cinématographique et posant une quantité de questions sur la nature même de cet art, l'aspect "ouvert à tous vents" (à toutes les interprétations) caractérisant ces propositions pouvant parfois décourager.

    A travers Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier, Gérard Courant semble se (nous) poser la question suivante : A partir de quand une image animée devient du cinéma ? Pour tenter d'y répondre, il part à peu près du même point que pour ses Cinématons. Il convoque cinq modèles (Marie-Noëlle Kaufmann, Gina Lola Benzima, Tessa Volkine, F.J. Ossang et Philippe Garrel) et les laisse improviser ou simplement prendre la pose dans divers endroits, seuls ou en groupe.

    L'unité rythmique de la série de séquences obtenues ne semble trouvée qu'à l'aide de la bande son, exclusivement de nature musicale. C'est elle qui donne le mieux le sentiment de la possibilité d'un récit et d'un sens. La musique, entendue sur de très longues plages, est de trois sortes : classique, électronique et punk. Le film démontre toute l'importance qu'elle peut avoir dès qu'elle est plaquée sur des images, toutes les variations qu'elle peut apporter. Plus elle est contemporaine, plus elle tire vers le réel, le document (comme ici lors d'un concert du groupe de F.J. Ossang). A cette actualité et ce côté brut s'oppose le lyrisme de l'opéra. Une distance se crée et ce recul permet l'installation d'un récit d'une part et de l'intemporalité d'autre part. Accompagnant une prise de vue, un portrait en mouvement, la musique apporte un surcroît d’émotion. Ici, elle magnifie en premier lieu les plans consacrés à Marie-Noëlle Kaufmann, figure des plus cinégéniques. Ne rien faire d’autre qu'être là, bouger à peine, mais avec l’assurance de capter le regard…

    Comme beaucoup de travaux de Gérard Courant, celui-ci nous renvoie à l’histoire ancienne du cinéma, au muet accompagné de musique, et au temps des mythes Garbo, Dietrich ou Monroe, dont les visages apparaissent plusieurs fois sur l’écran. Toutefois, les liens existant entre les images assemblées restent obscurs et, à mon goût personnel, trop lâches.

    Le questionnement se prolonge devant She’s a very nice lady, autre défi narratif. Avant une plus grande ouverture dans son dernier mouvement, ce film "improvisé par Gérard Courant", selon son générique, repose essentiellement sur trois sources d’images : des plans nocturnes de circulation automobile, des portraits filmés de deux femmes (et d’un enfant), toujours dans le style Cinématon, et des images de Gene Tierney dans le très beau Péché mortel de John Stahl (1945), diffusées sur un écran de télévision, enregistrées et retravaillées par des ralentis, des recadrages ou des teintures. Le montage fait alterner ces différentes vues, au rythme de la musique dont le rôle est de déterminer en fait la durée des séquences qui, sans elle, ne pourraient être distinguées les unes des autres. Le spectre musical va de Brian Eno à Richard Wagner. Les morceaux utilisés sont répétitifs et, parfois, répétés. Les images peuvent l’être aussi et comme la captation de celles de Gene Tierney génère un effet stroboscopique, l’hypnose n’est pas loin.

    L’idée de récit, elle, s’éloigne encore, malgré la proposition faite par le cinéaste sur la jaquette de son DVD. Courant y raconte une histoire précise, mais qui pourrait tout aussi bien ne pas être prise en considération et être remplacée dans la tête du spectateur du film par une autre. Si celui-ci tient à le faire… Pour ma part, j’ai abandonné rapidement la recherche d’un fil conducteur. Il me restait alors à observer ces instantanés, ces altérations d’images, ces jeux de lumières sur ces visages, et à m’interroger sur le cinéma... Y a-t-il une équivalence entre la star de la fiction et le simple modèle ? Ce qui émane de leur présence à l’écran est-il du même ordre ? Leurs images, mises côte-à-côte, dialoguent-elles ensemble ? Se produit-il un écho à partir du cinéma classique hollywoodien ? Qu’est-ce qui se crée dès qu’une caméra tourne ?

    Et encore : Comment garder un moment de cinéma et le faire sien ? Derrière cette question-là se niche sans doute ce qui fait de She’s a very nice lady un film très personnel : la recherche d’une conservation. Celle des plans d’un film (d’une actrice) aimé(e) ou celle des traces de la présence des proches. Le sentiment nostalgique qui découle de cet essai cinématographique vient de là.

    Devant ces deux films, trouver sa place n’est pas évident. On peut hésiter longtemps entre l’abandon à la pure sensation et la réflexion permanente. L’équilibre est difficile à tenir sur 90 minutes, l’esprit a tendance à divaguer et à fatiguer, et je pense qu’il vaut mieux faire son choix clairement, dès le départ, pour profiter pleinement de l’expérience, ce que je n’ai pas su (ou pu) faire. Cette veine expérimentale de l’œuvre de Gérard Courant n’est apparemment pas celle à laquelle je suis le plus sensible.

    Avec Carnet de Nice, nous nous trouvons dans un registre voisin, toujours assez expérimental mais plus direct, moins réflexif. Nous sommes dans la série des Carnets filmés, là où Gérard Courant donne naissance à l’équivalent d’un journal intime rendant compte de ses voyages. Ici, le prétexte est un séjour niçois durant le temps d’un weekend de novembre 2010.

    Débutant avec l’arrivée en train du cinéaste, le film nous montre la promenade des Anglais de manière tout à fait originale : les images enregistrées au rythme du marcheur défilent à l’écran en accéléré. Cette compression produit un drôle d’effet visuel et sonore. Bien qu’encore très longue, la séquence acquiert ainsi une durée supportable, mais c’est surtout la puissance sonore que l’on retient. Le son direct compressé donne un brouhaha assourdissant dès que le moindre roller double le cinéaste-arpenteur. De plus, nous sommes pris en tenaille par les bruits de la circulation sur la voie principale et celui de la mer, régulier et monotone. L’idée est toute simple mais traduit parfaitement la sensation que procure ce genre de ville côtière.

    Après la balade, Gérard Courant filme des bribes des Rencontres Cinéma et Vidéo de Nice, festival dont il est l’invité, ainsi que l’envers du décor de quelques Cinématons tournés à l’occasion. Sa mise en scène de la présentation en public de ses propres œuvres, effectuée par l’un de ses meilleurs connaisseurs, Vincent Roussel, est très astucieuse. Il superpose aux images de l’intervenant en train de parler de son cinéma celles du Cinématon que ce dernier avait tourné précédemment. Dans ce Cinématon, Vincent Roussel présente à la caméra divers objets culturels bien choisis (livres, DVD) et donc, en même temps, par transparence, il présente sur scène l’œuvre de Gérard Courant, qui, par ce collage, présente à son tour Vincent Roussel...

    La dernière partie de Carnet de Nice est essentiellement consacrée à une autre promenade au bord de la mer. On y voit comme en direct les prises de vue se faire selon l’instinct du cinéaste. Il marche et il filme, il cherche des idées de cadrage, en trouve parfois, pas toujours. Il faut accepter cette règle du jeu, ne pas avoir peur de passer par des moments d’ennui. Dans cette série de plans, on voit les ratures et les traits qui se précisent. Gérard Courant filme les flots inlassablement, tente de jouer sur les échelles de plans, du lointain au détail grossi, sur la lumière et les reflets, et obtient quelques belles images touchant à l’abstraction. Avec ce long final, on s’aperçoit que la mer ne nous a jamais vraiment quitté et qu’elle ne nous a guère laissé de répit au cours de ce séjour à Nice.

    Le quatrième film de cette livraison appartient lui aussi à une série, intitulée Mes villes d’habitation, dont il constitue le troisième volet. A travers l’univers est consacré à Saint-Marcellin, ville de l’Isère de 8 000 habitants dans laquelle Gérard Courant a passé une partie de son enfance dans les années cinquante. Le principe est ici de filmer une à une toutes les rues et les places du lieu. Chaque vue est précédée d’un plan sur la plaque nominative et dure une vingtaine de secondes. Pendant 1h18 sont donc listées les 127 rues et les 17 places d’une ville que la majorité d’entre nous n’a jamais traversé ni même, probablement, jamais entendu parler. A priori, ce programme est des plus austères et fait plutôt fuir... A posteriori, l’expérience est particulièrement vivifiante...

    Commençons par la question récurrente : Est-ce un film, est-ce du cinéma ? Réponse : Oui. 144 fois oui. Pour chaque prise de vue, Gérard Courant s’impose une fixité du cadre. Le choix de l’endroit où il pose sa caméra pour filmer la voie est donc, déjà, primordial. Ensuite, cette fixité renforce la conscience des limites physiques de l’image et, par extension, du hors-champ. Celui-ci à tout autant d’importance que le champ, que ce soit sur le plan visuel (les entrées et les sorties) ou, surtout, sonore (tous les bruits dont on ne voit pas l’origine, les bribes de conversation de passants invisibles, les pleurs ou les cris d’enfants...).

    La durée de chaque vue est la même. Enfin... sensiblement la même, car il m’a semblé qu’elle pouvait varier de quelques secondes. En effet, Courant choisit avec précautions l’endroit de ses coupes, dans le but de créer une véritable dynamique à partir du réel qu’il enregistre. Ce réel est en fait tiré vers des formes de micro-récits et, compte tenu de la courte durée de chaque plan, c’est bien le soin apporté à leur ouverture et leur clôture qui donne ce sentiment. Ainsi, le film est fait de 144 scènes. Un ballet automobile, un coup de klaxon, un salut adressé au caméraman, la trajectoire d’un piéton, l’apparition d’un chat, le reflet d’une vitre, l’attente d’une vieille dame : ces petits riens font l’événement et suffisent. Notre œil et notre oreille s’exercent. Nous sommes en état d’alerte toutes les vingt secondes, à l’affût de quelque chose (et parfois, nous est octroyée, simplement, une pause). Assurément, tout est affaire de regard. Le nôtre, aiguillé par celui du cinéaste. A travers l’univers, malgré la rigueur de son dispositif, n’a vraiment rien à voir avec de la vidéo-surveillance.

    Il serait toutefois abusif de vous promettre du rire, de l’action et de l’émotion. Quoi que… L’humour est bien présent. On s’amuse bien sûr en voyant la plaque de la Rue de la Liberté complétée à la bombe par un cinglant "de mon cul", mais également en découvrant qu’un bruit pétaradant de scooter annonce l’arrivée dans le cadre... d’un cycliste. Tel déplacement, telle attitude, peuvent de même prêter à sourire. L’action, elle, est assurée grâce à la position particulière que choisit parfois le cinéaste : en bout de rue, probablement sur un trottoir faisant face à un stop. Dans le cadre, les voitures avancent donc vers nous et la question de savoir si elles vont vraiment tourner au dernier moment se pose… Quant à l’émotion, elle jaillit au générique de fin lorsque Barbara entonne Mon enfance sur des photos de Saint-Marcellin. La chanteuse y a en effet passé une partie de la guerre, réfugiée avec sa famille juive.

    Dans les choix du cinéaste, un autre me paraît très important : la succession des rues à l’écran dans l’ordre alphabétique. A l’inverse d’une approche par quartier par exemple, ce déroulement assure un panachage qui ménage les surprises. D'une rue à l'autre, tout peut changer. Les violents contrastes visuels et sonores sont réguliers car nous passons sans transition d'une artère de grande circulation automobile à une rue au calme résidentiel ou à une route menant vers la campagne où chantent les oiseaux.

    A nouveau voici un film sous-tendu par l'idée de conservation, de la fixation d'un présent qui pourrait éclairer un futur. A travers l'univers est un travail pour demain. Mais vu aujourd'hui, c'est avant tout un film contemporain qui, malgré la modestie de sa forme, nous fait partager de la manière la plus juste qui soit l'expérience de la vie dans nos villes françaises.

     

    courant,france,documentaire,70s,80s,2000s,2010sJE MEURS DE SOIF, J'ÉTOUFFE, JE NE PUIS CRIER

    SHE'S A VERY NICE LADY

    CARNET DE NICE (Carnet filmé : 19 novembre 2010 - 22 novembre 2010)

    Á TRAVERS L'UNIVERS

    de Gérard Courant

    (France / 67 min, 90 min, 81 min, 79 min / 1979, 1982, 2010, 2005)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (2010)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif2010 : Chez les Cahiers comme à Positif, on profite du changement de décennie pour faire un large bilan du cinéma des années 2000 (et consacrer, pour les uns, Mulholland Drive de Lynch, et, pour les autres, Le nouveau monde de Malick), on s'interroge sur Avatar de Cameron et Alice au pays des merveilles de Burton, on rencontre et/ou on soutient Bong Joon-ho (Mother), Samuel Maoz (Lebanon), Olivier Assayas (Carlos), Brillante Mendoza (Lola), Manoel de Oliveira (L'étrange affaire Angélica), Xavier Beauvois (Des hommes et des dieux), Raoul Ruiz (Mystères de Lisbonne), Mike Leigh (Another year), Koji Wakamatsu (Le soldat dieu), on revient vers Jacques Bral et Pierre Etaix.
    Les Cahiers ajoutent à cela des entretiens avec Werner Herzog, Apichatpong Weerasethakul, Luc Moullet (La terre de la folie), Pedro Costa (Ne change rien), Wes Anderson (Fantastic Mr Fox), Claire Denis (White material), Kamen Kalev (Eastern plays), João Pedro Rodrigues (Mourir comme un homme), Yaron Shani (Ajami), Jean-Stéphane Bron (Cleveland contre Wall Street), Andrei Ujica (L'autobiographie de Nicolae Ceaucescu), Abbas Kiarostami (Copie conforme), Mathieu Amalric (Tournée), Michael Rowe (Année bissextile), Darejan Omirbaev (Chouga), M. Night Shyamalan (Le dernier maître de l'air), Gregg Araki (Kaboom), Sergueï Loznitsa (My joy), Mahamat-Saleh Haroun (Un homme qui crie), Xavier Dolan (Les amours imaginaires), Takeshi Kitano (Outrage), ainsi que Paul Vecchiali, Peter Whitehead, Jonas Mekas, Zlavoj Zizek, Bill Viola, Philippe Parreno, Tilda Swinton, Alan Pauls, Edward Pressman. Ils publient des textes sur le cinéma malais, les séries américaines, la façon de filmer les camps, le cinéma d'animation, les nouveaux cinémas français (Rebecca Zlotowski, Quentin Dupieux, Virgil Vernier, Mikhaël Hers...) et allemands (Maren Ade, Christoph Hochhäusler, Benjamin Heisenberg) ou le cinéma japonais et rendent d'amples hommages à Eric Rohmer et Claude Chabrol.
    Aux noms cités plus haut, il faut ajouter du côté de Positif, ceux de Jane Campion, Andrzej Wajda, Nicolas Winding Refn, Paul Greengrass, Lee Chang-dong, Woody Allen, Bertrand Tavernier, David Fincher, Joel et Ethan Coen (A serious man), Clint Eastwood (Invictus), Jacques Perrin (Océans), Todd Solondz (Life during wartime), George Ovashvili (L'autre rive), Ronit Elkabetz (Les mains libres), Stephen Frears (Tamara Drewe), Alejandro Gonzalez Iñarritu (Biutiful), Takeshi Kitano (Achille et la tortue), François Ozon (Potiche), Olivier Schmitz (Le secret de Chanda), Michael Lonsdale et Yun Jung-hee. Dans le même temps, sont proposés des écrits sur Gordon Douglas, la Gaumont, Abbas Kiarostami, Michael Powell, Julien Duvivier, Karel Reisz, Terrence Malick, Robert Siodmak, George Clooney, Robert Mulligan, Wojciech Has, le cinéma iranien, Dennis Lehane, Alexander Kluge. Enfin, les dossiers mensuels portent successivement sur le cirque au cinéma, le son, le cinéma et la peinture, les acteurs français entre théâtre et cinéma, l'animation en France (de Sylvain Chomet à Michel Ocelot), le film de cape et d'épée, Ernst Lubitsch, le décor, les cinémas d'Europe de l'Est et la RKO.
     

    Janvier : Années 2000 (Mulholland Drive, David Lynch, Cahiers du Cinéma n°652) /vs/ Bright star (Jane Campion, Positif n°587)

    Février : Le genou de Claire (Eric Rohmer, C653) /vs/ Tatarak (Andrzej Wajda, P588)

    Mars : Bad Lieutenant (Werner Herzog, C654) /vs/ Valhalla rising - Le guerrier silencieux (Nicolas Winding Refn, P589)

    Avril : Alice au pays des merveilles (Tim Burton, C655) /vs/ Green zone (Paul Greengrass, P590)

    Mai : Cannes (C656) /vs/ Lady Chatterley (Pascale Ferran, P591)

    Juin : Oncle Boonmee (Apichatpong Weerasethakul, C657) /vs/ L'illusionniste (Sylvain Chomet, P592)

    Eté : Mad men (C658) /vs/ L'aigle des mers (Michael Curtiz) & La princesse de Montpensier (Bertrand Tavernier) (P593-594)

    Septembre : Happy few (Anthony Cordier, C659) /vs/ Poetry (Lee Chang-dong, P595)

    Octobre : Claude Chabrol (C660) /vs/ Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (Woody Allen, P596)

    Novembre : Cinéastes de demain (C661) /vs/ The social network (David Fincher, P597)

    Décembre : Bilan 2010 (C662) /vs/ Another year (Mike Leigh, P598) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Le choix des Cahiers d'arborer plutôt des couvertures thématiques ne facilite pas les choses dans mon optique. De mon top 10 de l'époque, je ne retrouve en fait que deux titres, un de chaque côté, mais ce sont les plus marquants de l'année : Bright star et Oncle Boonmee. Ceux de Winding Refn et d'Allen se dégagent également, au milieu d'autres, moins intéressants à mon avis. Pour ce qui est de mes manques, je suis assez curieux de découvrir le Wajda et le Herzog, bien moins le Cordier et le Greengrass. Bref, tout cela me semble équilibré. Allez, pour 2010 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Hors Satan

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    Bruno Dumont, tout en gardant son esthétique du hiatus qui fait la force de son cinéma, abandonne les discours bi-dimensionnels qui plombaient d'inégales manières ses trois précédents longs métrages : l'ennui profond collé à l'insupportable déchaînement de violence dans Twentynine Palms, l'opposition entre islam et christianisme dans le gênant Hadewijch, la confrontation des jeunes du pays à la guerre au Moyen-Orient et à ses horreurs attendues dans Flandres, meilleur titre de cette période qui aura vu le cinéaste se perdre quelque peu. Avec ce magnifique Hors Satan, c'est donc comme si nous repartions directement après La vie de Jésus et L'humanité.

    Le montage est effectué par Dumont lui-même, qui offre un film plus découpé qu'à l'ordinaire (mais Hadewijch, déjà, amorçait ce mouvement). Quelque chose de très fort se dégage de la façon dont il colle ses plans les uns aux autres, comme en les entrechoquant. Les changements d'échelles sont brusques et se font parfois dans le plan lui-même lorsque, dans le cadre large, s'incruste quelqu'un, cette entrée totalement inattendue créant un "premier plan" qui change notre perception de l'image. De même, le système de champ-contrechamp qui s'organise est absolument fascinant. Dumont s'attarde beaucoup sur les deux personnages principaux qui prient ou qui portent leur regard au loin. Or, entre ce qu'ils voient et ce que voit le spectateur, il y a un flottement. Ce qu'il peut voir ou ce qu'il croit voir, devrais-je dire. Parfois, le contrechamp nous est refusé, une autre fois, il nous semble ne pas être aussi signifiant que doit le penser le personnage supposé s'y perdre, une troisième, il colle parfaitement et nous met en phase. La (première) scène de meurtre procure une sensation encore différente. Quelque chose ne fonctionne pas normalement dans cette articulation entre le plan du tireur et celui de sa victime, se dit-on. Il y a une règle qui n'est pas suivie : l'axe choisi ne peut pas être celui-là.

    Ces choix sont le signe de la liberté du cinéaste mais ils donnent aussi sa liberté au spectateur. Dans Hors Satan, le vent souffle où il veut et le spectateur voit ce qu'il veut. C'est d'autant plus étonnant que Bruno Dumont donne l'impression de montrer tout, avec sa manière de filmer très frontale. Pourtant, il laisse aussi ouvert. Il n'explique pas, il laisse l'énigme de cette histoire, de ce gars qui tue et redonne la vie, alternativement.

    Tout converge vers ce mec, ce vagabond exorciste. La fille est attirée par lui, une mère de famille accourt le chercher pour qu'il sorte sa gamine de sa catatonie, la routarde nymphomane le hèle du bord de la route, un chien vient à sa rencontre, et forcément les gendarmes finissent par s'intéresser à lui... mais son mystère demeure, il ne peut être percé. Tout converge aussi parce que la mise en scène de Dumont rend sensible ces forces. Surtout grâce au travail sur le son. Ce son est celui de la respiration de l'homme qui marche, le bruit de ses pas et de ses gestes, celui du frottement de ses vêtements. Ainsi, même s'il se trouve éloigné de nous dans l'image, sa présence physique est affirmée.

    L'autre son marquant de ce film dénué de musique est celui du vent, enregistré directement, laissant comme une piste sonore mal nettoyée. Ce vent typique de ces bords de mer s'infiltre partout, balaie les dunes et évacue de l'écran les couleurs trop vives. Soumis à ce souffle, le paysage dunaire renvoie une lumière particulière, qui émane aussi des visages du gars et de la fille (David Dewaele et Alexandra Lematre sont admirablement dirigés et deviennent inoubliables). Hors Satan est sans doute le film le plus beau, plastiquement, qu'ait signé le cinéaste.

    Mais il n'en est pas moins perturbant. A cause notamment de cette balance constante entre la douceur et la violence, entre le sacré et le banal, entre la sordidité du fait divers et la nudité de la spiritualité. Et ce double mouvement ne cesse de s'accentuer jusqu'à la fin, en passant par une dernière demie-heure qui n'en finit pas de proposer des fins possibles, où Dumont tente des choses incroyables et parvient à désamorcer au fil de ses séquences des équations risquées (comme : femme = démon) en ne comptant que sur notre ressenti. Domptant toutes ces forces contradictoires, Hors Satan dégage une puissance cinématographique vraiment hors norme.

     

    horssatan00.jpgHORS SATAN

    de Bruno Dumont

    (France / 110 min / 2011)

  • L'horrible Docteur Orlof & Une vierge chez les morts vivants

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    Il est assez amusant de découvrir L'horrible Docteur Orlof après La piel que habito, tant la parenté entre les deux semble évidente. L'idée de base, celle du "savant fou" travaillant en secret pour trouver une "nouvelle peau" à sa femme, est exactement la même (on pense également, bien sûr, aux Yeux sans visage de Franju). Toutefois, autant le film d'Almodovar est une variation glacée, insidieuse et tournoyante, autant celui de Franco est une tentative expressionniste, directe et syncopée.

    Le recul vers un passé situé en 1912 et le choix du noir et blanc donnent un certain cachet esthétique à ce film, l'un des premiers signés par Jess Franco (puisqu'il semble être le 11ème d'une série, en cours, de 185 titres). Ambiances nocturnes et humides, orgues et percussions, cadrages déroutants à la Orson Welles... malaise, vertige et surprise sont recherchés. L'œuvre est construite autour de plusieurs fulgurances, au point que certains plans déboulent tout à coup, venus d'on ne sait où, comme celui qui nous donne à mater furtivement, sans préavis ni suite, une paire de seins gigotant sous des mains ennemies. Le montage est effectué à la hache. A l'intérieur même des séquences, nous avons l'impression de sauter d'un endroit à un autre, dans l'espace du film.

    Le récit souffre d'une alternance entre l'enquête ennuyeuse d'un inspecteur de police et les méfaits du Docteur Orlof tenant sous sa coupe un ancien condamné à mort aveugle mais d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'agit d'enlever les jeunes femmes esseulées. Jess Franco n'hésite pas à emprunter des tunnels explicatifs longs comme la mort et à laisser dérouler des dialogues au ras du pavé luisant, dialogues à travers lesquels absolument tout est exposé, passé ou présent.

    Les femmes sont imprudentes, crient et meurent. Elles sont souvent portées à bout de bras, à la fois proies et déesses. Elles sont toujours belles. La fin est expédiée.

    Plus raide encore est Une vierge chez les morts vivants. Là, des prétentions artistiques à la Marguerite Duras s'installent dans un cadre narratif et une économie de série Z. Le film "raconte" l'histoire de Christina, jeune femme venant à la rencontre de membres de sa famille qu'elle ne connaît pas, dans un château inhabité. Bien vite, nous nous aperçevons, sans trop savoir si l'héroïne en est elle-même consciente ou pas, que ceux-ci sont tous, non pas des morts vivants, mais des fantômes, malgré leur apparence très charnelle. Soumise à des visions d'horreur et d'érotisme, Christina va perdre la raison et la vie.

    Jess Franco expérimente à tout va. Malheureusement, il le fait dans la répétition improductive. Chez lui, une séquence repose sur une idée de mise en scène (à partir de l'usage du zoom, souvent) reproduite jusqu'à son terme au fil des plans qui la compose, générant parfois un sentiment d'absurdité. Dès lors, le déroulement narratif, qui paraît totalement aléatoire, issu d'un scénario capricieux et informe, se voit entrecoupé par des moments de stagnation, des séquences figées ou tournant sur elles-mêmes selon l'effet qui y est répété. Comme dans L'horrible Docteur Orlof, nous est réservée une explication in extenso concernant un événement supposé s'être passé précédemment.

    Il faut admettre que quelques divagations ou déplacements au cœur de la nature ont leur beauté propre, même si ces passages sont souvent gâchés, à un moment ou à un autre, par un zoom inconcevable, un recadrage impromptu (sur un nénuphar ?!?), un tremblé, un raccord dont le qualificatif "faux" sonne encore trop faiblement pour en rendre compte correctement. Plus que les délires érotico-fantastiques mis en images, pas bien méchants, c'est donc bien ce "style" qui rend le film si bizarre et qui retient par conséquent d'en parler comme d'un navet absolu. A moins que ce ne soit l'abondance de jolies filles dénudées pour un oui ou pour un non par leur metteur en scène tout puissant.

    Je frémis tout de même à l'idée que ces deux DVD que l'on m'a gracieusement prêté renferment deux films parmi les plus réputés et donc probablement les meilleurs de Jess Franco (avec tous le respect que je dois, notamment, au descendant de l'Horrible Docteur)...

     

    franco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70sfranco,erotisme,fantastique,france,espagne,belgique,60s,70sL'HORRIBLE DOCTEUR ORLOF (Gritos en la noche)

    UNE VIERGE CHEZ LES MORTS VIVANTS (ou CHRISTINA CHEZ LES MORTS VIVANTS ou CHRISTINA, PRINCESSE DE L'ÉROTISME)

    de Jess Franco

    (Espagne - France, Belgique - France - Italie - Liechtenstein / 90 min, 76 min / 1962, 1973)

  • L'éventail de Lady Windermere

    lubitsch,etats-unis,20s

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    Adaptation de la pièce d'Oscar Wilde, L'éventail de Lady Windermere est souvent considéré comme le chef d'œuvre de la période muette de Lubitsch. Dépassant encore le pourtant délectable (dans mon souvenir) Prince étudiant de 1927, ce film est effectivement une merveille absolue.

    Une introduction, un marché conclu, une sortie aux courses, une réception d'anniversaire et un épilogue : voilà en fait à quoi se réduit l'histoire. L'étirement des scènes et leur relative lenteur font presque du film quelque chose d'abstrait. Il n'est pas foncièrement comique bien que l'humour y soit régulièrement présent, notamment à travers la critique des langues de vipère et des vieux célibataires de la haute société londonienne. La multiplication des quiproquos assurent les sourires mais ce contentement ne repousse pas l'impression que s'expriment ici bien des douleurs.

    Les personnages sont pris au piège des conventions sociales, des règles archaïques et de l'absurdité du respect de l'étiquette. Dire leur propre vérité leur est impossible, pas même face à l'être aimé. En conséquence, mensonges, hypocrisies et omissions entraînent dans une spirale glaçante de situations intenables, dans lesquelles chacun se retrouve déchiré. La mécanique lubitschienne (*) du film avec son incroyable chapelet de méprises véhicule ainsi plus de sourdes angoisses que de rires francs. L'éventail de Lady Windermere est un véritable drame mondain, un mélodrame peut-on même dire, suspendu à un lien mère-fille inavouable.

    Les rapports qui se tissent entre les personnages sont traduits en termes visuels avec une netteté et une élégance incomparable. On note par exemple que lorsqu'ils sont réunis tous les trois dans le cadre, le mari est toujours "entre" la femme et l'amant. Cependant, il faut tout de suite préciser que, si concertée soit-elle, cette géométrie reste vivante. A la réception, Mrs Erlynne, soumise aux regards dédaigneux des dames de la haute, se voit en revanche entourée, dès son arrivée, par une dizaine d'hommes en costume. S'extirpant du centre de ce groupe qui gagne sans arrêt de nouvelles unités, elle décide de s'avancer vers une affreuse rombière et lui lance un compliment totalement exagéré mais qui fait son effet et retourne totalement la situation. Un sourire de la vieille peau et aussitôt la conversation est lancée. D'autres dames s'approchent, trouvant que, finalement, cette femme que l'on dit de mauvaise vie a des manières. Un deuxième cercle s'est donc formé autour d'elle. La séquence est assez courte mais elle permet néanmoins d'observer une évolution (les convives, les hommes et ensuite les femmes, s'approchent un par un) qui ne donne pas l'impression d'une mise en scène rigide.

    Cette architecture, ces admirables compositions laissant un personnage dans un coin du cadre et les trois quarts restant dévolus à un décor pesant, cette invention dans les variations d'échelles et dans les jeux de caches "réels" (les éléments du décor) ou techniques, tout cela pourrait de même donner une œuvre théorique et désincarnée. Or il n'en est rien. Et bien souvent, dans ces moments-là, c'est l'humour qui humanise ce qui est présenté, qui maintient le lien affectif.

    C'est aussi la beauté et le frémissement qui parcourent certains plans rapprochés sur les visages ou la peau, c'est le subtil équilibre entre ces derniers et les compositions plus larges, c'est enfin la retenue très moderne des acteurs. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la magnifique séquence de l'hippodrome. Dans les tribunes, au milieu de la foule, se crée une complexe circulation des regards, initiée de façon comique par le recours des curieux aux jumelles pour mieux observer le "phénomène" Mrs Erlynne et prolongée par l'insertion de gros plans sur la nuque et les mains de celle-ci.

    Dans L'éventail de Lady Windermere, si les situations paraissent extrêmes, elles ne sont pas provoquées par des personnages faits d'une seule pièce. Ces êtres se révèlent complexes et aptes à faire évoluer leurs jugements. Lord Windermere va tout de même donner de l'argent pour aider Mrs Erlynne et Lady Windermere ne va finalement pas frapper cette dernière avec son éventail comme elle l'avait annoncé. Cette intelligence et, parfois, cette bonté n'évitent pas les catastrophes. Elles en causent même certaines. Plus ces gens cherchent à rester droits, plus ils croulent sous le poids. Preuve que pour Lubitsch, à la suite de Wilde, c'est bien le carcan imposé par la société qui est responsable des plus grands maux.

     

    (*) : La projection à laquelle j'ai pu assister était précédée d'un "cours" lumineux de N.T. Binh (Yann Tobin) sur l'œuvre de Lubitsch en général et, évidemment, sur la "Lubitsch touch" en particulier.

     

    lubitsch,etats-unis,20sL'ÉVENTAIL DE LADY WINDERMERE (Lady Windermere's fan)

    d'Ernst Lubitsch

    (Etats-Unis / 90 min / 1925)

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (2009)

    Suite du flashback 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positif2009 : Les Cahiers sont repris par le groupe Phaidon et à partir de septembre la rédaction s'organise autour de Stéphane Delorme et de son adjoint Jean-Philippe Tessé. Les cinéastes rencontrés au cours de l'année sont nombreux : Kiyoshi Kurosawa, Benoît Jacquot, Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, Francis Ford Coppola, Johnnie To, Pedro Almodovar, Quentin Tarantino, Manoel de Oliveira, Alain Resnais, Werner Schroeter (Nuit de chien), David Fincher (L'étrange histoire de Benjamin Button), Avi Mograbi (Z32), Claude Chabrol (Bellamy), Tariq Tieguia (Inland), Marco Bellocchio (Vincere), Denis Côté (Carcasses), Luc Moullet (La terre de la folie), Raya Martin (Independencia), Alain Guiraudie (Le roi de l'évasion), Josh et Benny Safdie (Lenny and the kids), Koji Wakamatsu (United Red Army), Nobuhiro Suwa et Hippolyte Girardot (Yuki et Nina), Souleymane Cissé (Dis-moi qui tu es), Bong Joon-ho (Mother), Riad Sattouf (Les beaux gosses), Elia Suleiman (Le temps qu'il reste), Andrea Arnold (Fish Tank), Kathryn Bigelow (Démineurs), Bruno Dumont (Hadewijch). Le chant des oiseaux d'Albert Serra, Antichrist de Lars von Trier, Funny people de Judd Apatow et Max et les Maximonstres de Spike Jonze font également l'évènement selon la revue qui se penche parallèlement sur Le petit fugitif de Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley et L'enfer d'Henri-Georges Clouzot, sur Les Soprano (entretien avec David Chase) et The Wire (par Bertrand Bonello), sur John Landis, Monte Hellman, Federico Fellini, Apichatpong Weerasethakul et Jean Rouch. De même, de larges réflexions portent sur l'Action culturelle, la Nouvelle Vague (par Isabelle Huppert, Mia Hansen-Love, Resnais et Almodovar) et le cinéma en relief.
    Dans la pile de Positif, on peut lire des entretiens avec Steven Soderbergh, David Fincher, Kornel Mundruczo, John Woo, Henry Selick, Michael Mann, Jacques Audiard, Quentin Tarantino, Michael Haneke, Marco Bellocchio, Alain Resnais, Bahman Ghobadi, Nuri Bilge Ceylan (Les trois singes), Ulrich Seidl (Import Export), Paolo Sorrentino (Il Divo), Terence Davis (Of time and the city), Jeon Soo-il (La petite fille de la terre noire), Joachim Lafosse (Elève libre), Gianni Di Gregorio (Le déjeuner du 15 août), Bertrand Tavernier (Dans la brume électrique), Stephen Frears (Chéri), Atom Egoyan (Adoration), Ken Loach (Looking for Eric), Cédric Kahn (Les regrets), Claude et Nathan Miller (Je suis heureux que ma mère soit vivante), Alain Cavalier (Irène), Park Chan-wook (Thirst, ceci est mon sang...), Jean-Pierre Jeunet (Micmacs à tire-larigot), Patrice Chéreau (Persécution), Yang Ik-june (Breathless), John Hillcoat (The proposition et La route), Sidney Lumet, Dominique Blanc, Vincent Lindon, Alexandre Desplat et Nicola Piovani. Raymond Depardon parle de Jean Rouch et Alain Delon de Joseph Losey. Des textes portent sur Jacques Tati, James Whale, Shirley Clarke, Artavazd Pelechian, Pietro Germi, Theo Angelopoulos, Hiroshima mon amour d'Alain Resnais et sur le cinéma policier nordique, tandis que des dossiers sont consacrés à New York au cinéma, au nouveau cinéma belge, à Bollywood, à Cecil B. DeMille, à Clouzot, aux chansons dans le cinéma français, à la folie au cinéma, à Robert Aldrich, à Josef von Sternberg, au documentaire et au DVD.
     

    Janvier : Che (Steven Soderbergh, Cahiers du Cinéma n°641) /vs/ Che (Steven Soderbergh, Positif n°575)

    Février : Gran Torino (Clint Eastwood, C642) /vs/ L'Autre (Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, P576)

    Mars : La fille du RER (André Téchiné, C643) /vs/ Delta (Kornel Mundruczo, P577)

    Avril : Villa Amalia (Benoît Jacquot, C644) /vs/ Les trois royaumes (John Woo, P578)

    Mai : Vengeance (Johnnie To, C645) /vs/ Etreintes brisées (Pedro Almodovar, P579)

    Juin : Inglourious basterds (Quentin Tarantino, C646) /vs/ Coraline (Henry Selick, P580)

    Eté : Public enemies (Michael Mann, C647) /vs/ Cinéma et folie (Répulsion, Roman Polanski, P581-582)

    Septembre : Singularités d'une jeune fille blonde (Manoel de Oliveira, C648) /vs/ Un prophète (Jacques Audiard, P583)

    Octobre : Judd Apatow (C649) /vs/ Le ruban blanc (Michael Haneke, P584)

    Novembre : Alain Resnais (C650) /vs/ Les herbes folles (Alain Resnais, P585)

    Décembre : Tetro (Francis Ford Coppola, C651) /vs/ Les chats persans (Bahman Ghobadi, P586) 

     

    cahiers du cinéma,positifcahiers du cinéma,positifQuitte à choisir : Je ne vois que deux titres ayant trouvé leur place dans ma sélection de 2009 : Gran Torino et Les herbes folles. Les films de Mann et d'Audiard n'en étaient certes pas loin mais beaucoup d'autres m'ont enthousiasmé bien moins que prévu : ceux de Soderbergh, Bernard/Trividic, Mundruczo, Woo, Almodovar, Tarantino, Haneke, Coppola, Ghobadi. Les films m'ayant échappé du côté des Cahiers ne m'attirent pas outre mesure (Téchiné, Jacquot, Apatow et ce To-là), à l'exception du Oliveira. En face, je serai assez curieux de découvrir Coraline. Enfin, bien sûr, il y a Répulsion... Petite pêche, donc : Eastwood - Polanski, Mann - Audiard et Resnais - Resnais. Allez, pour 2009 : Match nul.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Hamlet

    kozintsev,urss,histoire,60s

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    Ce n'est pas un perdreau de l'année qui réalise en 1964 cette adaptation de Shakespeare : Grigori Kozintsev va alors vers ses soixante ans et a derrière lui quarante années d'activité de cinéaste (à l'exception des cinq derniers, il cosigna avec Leonid Trauberg tous ses films dont une mémorable Nouvelle Babylone en 1929).

    Son Hamlet, qui s'étire sur près de 2h30, est tout entier soumis à des bourrasques menaçant sans cesse son équilibre. Entre la langue russe que l'on entend et l'anglais que l'on a en tête, entre le réalisme et le symbolisme soviétique, entre l'introspection et le déchaînement, entre l'appel de la mer et la claustration à la cour, entre l'académisme des monologues et la modernité des mouvements, le film est la proie d'une série de tiraillements qui le chargent finalement d'une grande énergie. Par l'entremise d'une caméra mobile enregistrant les effets du vent et de la lumière naturelle et celle d'acteurs expressifs et bondissants (Innokenti Smoktounovski est un Hamlet à l'âge indécidable et à l'explosivité gestuelle surprenante), l'adaptation est des plus vivantes, au moins autant traversée par l'action que par le texte.

    Elle donne à voir, par exemple, un combat final à l'épée alliant un beau réalisme des gestes, rendu appréciable par des plans longs et larges, et une dynamique débordant des cadres plus serrés, au fil d'un découpage remarquable de la séquence (les deux types de plans n'étant pas mélangés mais se succédant, donnant ainsi le sentiment d'une approche progressive). Plus calmes mais tout aussi enfiévrées et esthétiquement puissantes sont la séquence de l'habillage d'une Ophélie endeuillée et déjà absente (touchante Anastasia Vertinskaïa), puis celle de sa crise de démence au milieu des soldats de son frère. Bien sûr, tout n'est pas aussi saisissant dans ce film inégal et versant plus d'une fois dans la grandiloquence (la rencontre entre Hamlet et le spectre de son père est proprement cataclysmique), mais il est difficile de résister au souffle qui le traverse sur la durée.

     

    Kozintsev,urss,histoire,60sHAMLET (Gamlet)

    de Grigori Kozintsev

    (U.R.S.S. / 148 min / 1964)

  • A dangerous method

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    (avant-première, sortie en salles le 21 décembre 2011)

    Des premières lueurs du XXe siècle à la veille de la Grande guerre, David Cronenberg conte l'histoire d'une relation triangulaire entre les docteurs Carl Jung, Sigmund Freud et Sabina Spielrein, cette dernière passant tout d'abord par le stade de patiente du premier. Comme dans la plupart des biographies et des drames en costumes, le déroulement est chronologique et les sauts d'une année à une autre sont nombreux. Si le triangle évoqué à l'instant structure le film, cette évidence apparaît très progressivement et sans que la figure ne soit réellement convoquée à l'image (sinon de manière détournée en une occasion réunissant Jung et sa protégée Sabina, à côté d'Emma, la femme du docteur bientôt trompée par ces deux-là). Entre Jung et Freud, le lien est tissé par l'intermédiaire de Mlle Spielrein, qui sera aussi la cause de sa rupture.

    A dangerous method déjoue les attentes. Cronenberg fait intervenir le Dr Freud assez tardivement, bien que son nom soit vite cité, et il ne se lance pas dans un écheveau narratif complexe mais compose une série de scènes à deux personnages, collant ainsi à son sujet, la psychanalyse et le rapport particulier qu'elle induit entre le médecin et son patient. Nous avons donc là, essentiellement, un film de dialogues, dans lequel la mise en scène de la parole est primordiale. Le cinéaste se tourne vers une société corsetée dont il fige et épure les décors pour mieux en détacher les corps et mettre en valeur la parole extirpée. Souvent, il offre au spectateur une vision également nette de deux visages pourtant placés sur des plans différents dans la profondeur du cadre, effet qu'il n'est pas le premier à réaliser mais certainement l'un de ceux qui l'aura utilisé avec le plus de pertinence par rapport à son propos. Celui (celle) qui parle et celui qui écoute suscitent la même attention. Pour une fois, la parole se charge donc presque entièrement de porter le mystère à la place du corps (les rêves analysés) et c'est le son qui bouscule plutôt que les images (les récits érotiques et/ou traumatisants). Le scandale du sexe est dans les mots et pratiquement pas ailleurs. L'écran reste relativement chaste.

    Le film est l'adaptation d'une pièce de Christopher Hampton, elle-même dérivant d'un livre de John Kerr. Les intérieurs sont privilégiés, les débordements stylistiques sont évités, l'ouvrage apparaît classique. Presque archaïque par moments : les plans faisant appel au numérique évoquent de vieilles transparences et le jeu de Keira Knightley est excessif dans sa tension. Dans ce domaine, la contribution de Vincent Cassel, dans un rôle secondaire, a du mal à me convaincre. Viggo Mortensen campe en revanche un Freud imposant et Michael Fassbender hérite quant à lui d'un Jung plus exposé et plus changeant.

    Les séquences les plus mémorables réunissent ces deux derniers. Leurs discussions, leur amitié, leurs divergences et leur rupture par lettres interposées se révèlent très prenantes. De façon saisissante et douloureuse, le lien est coupé, comme le dit Freud. Alors qu'il annonce cela, sont montrés sur un plateau une enveloppe ouverte et un coupe-papier. Si Cronenberg ne nous gratifie pas d'autres fulgurances qu'un bruit de bois craquant dans une bibliothèque, il fait toujours preuve d'une diabolique maîtrise dans la conduite de son récit, dans le passage d'une séquence à l'autre, dans le saut d'un plan au suivant. La malade à l'hôpital parle de liberté et aussitôt nous passons à l'image d'une calèche déboulant à vive allure dans une rue. L'épouse de Jung veut que celui-ci lui revienne et voilà qu'une scène débute avec l'avancée de la barque du docteur vers une silhouette féminine l'attendant sur la berge. Le montage semble ainsi par moments suivre une pensée ou se faire par associations d'idées, mais sans heurt aucun.

    Tout cela fait un film pensé, concerté, soigné. Aussi, un film théorique et mené sur un seul ton. Sa réussite me semble tenir dans certaines limites, les mêmes que l'on décelait dans M. Butterfly ou Spider, celles du drame psychologique d'apparence classique. Malgré les évidentes qualités qui s'y retrouvent, ce n'est pas, chez David Cronenberg, le sillon qui a ma préférence.

     

    adangerousmethod00.jpgA DANGEROUS METHOD

    de David Cronenberg

    (Royaume-Uni - Allemagne - Canada - Suisse / 100 min / 2011)

  • La désintégration

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    (avant-première, sortie en salles le 15 février 2012)

    La graphie du titre dans le générique le confirme si besoin est, La désintégration c'est bien La dés-Intégration, soit la dynamique inverse de celle recherchée depuis des décennies maintenant. En dessinant la trajectoire de trois jeunes hommes de la banlieue lilloise poussés par un quatrième jusqu'à l'extrémité de l'activisme islamique, Philippe Faucon raconte avant tout l'histoire d'un échec, celui de la République.

    Le sujet est délicat à traiter tant les pièges disposés sont nombreux, le plus redoutable étant celui de la caricature. Entre cette dernière et l'équilibre trop prudent menant à la tiédeur, la voie est très étroite. Pour décrire une série de faillites, Philippe Faucon n'a peur ni des mots, ni des situations. Cette volonté fait la force du film, couplée à l'art du réalisme du cinéaste. Son approche vivante et respectueuse des personnages fait que la clarté et l'importance du discours n'étouffent pas la singularité.

    La première moitié du récit est chorale, les pistes suivies sont nombreuses et la dramaturgie "basse". Les caractérisations sont précises sans être manichéennes. La sensibilité des acteurs et la distance trouvée par la caméra sont à l'origine de quelques belles séquences, d'instants souvent émouvants (les relations entre parents et enfants, les prises de photos de l'un des héros avec son portable). Les clichés ont la peau dure mais on ne s'en contente pas (un dialogue autour de la rédaction d'un CV évoque avec humour l'idée du changement de nom pour augmenter les chances de réponses positives mais le plan ne s'arrête pas là, il n'en fait pas un slogan).

    Un personnage met cependant en péril l'édifice : l'endoctrineur. Faucon a voulu fuir le cliché du barbu illuminé mais il a chargé son aura, dans un autre sens. Habits noirs, voix basse, monocorde, cherchant à envoûter, et regard ténébreux par en dessous, dès son apparition la catégorisation est faite. Intelligent, psychologue, pertinent parfois avec certains arguments peu contestables, il est et reste le mauvais génie taillé d'un bloc. Certes, trouver la façon d'incarner un recruteur djihadiste est une gageure...

    Si les balises sociales sont habilement disposées dans la première partie, afin de faire sentir comment l'islam devient refuge et comment les islamistes deviennent pour cette jeunesse maghrébine les derniers interlocuteurs le long d'une chaîne brisée en amont, la seconde donne à voir une position qui se raidit. Dès lors, il est difficile de ne pas raidir aussi le film. Évacuant les points de vue différents et contradictoires pour se concentrer sur un seul, le récit finit en ligne droite, gagnant en force dramatique ce qu'il perd en subtilité. Il se fait un peu trop balisé. Toutefois, reconnaissons-lui le mérite d'aller au bout de sa logique, jusqu'à une explosion et une libération d'inquiétudes.

     

    faucon,france,2010sLA DÉSINTÉGRATION

    de Philippe Faucon

    (France / 78 min / 2011)