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2000s - Page 7

  • Shortbus

    (John Cameron Mitchell / Etats-Unis / 2006)

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    shortbus.jpgContre toute attente, le seul intérêt véritable de Shortbus est musical, la série de pop songs que l'on y entend étant tout à fait agréable (de Yo La Tengo à Animal Collective).

    Il y en aurait bien un autre, que n'ont bien sûr pas manqué de mettre en avant la majorité des critiques au moment de sa sortie en salles en 2006 (jusqu'à en faire, tout à fait abusivement, un hymne à l'hédonisme) : voici une œuvre sexplicite, dans laquelle la chose est filmée frontalement et joyeusement. Avec humour même. Enfin, je dois avouer que voir une giclée de sperme atterrir inopinément sur un tableau abstrait ou un sex toy télécommandé rendre incontrôlable une jeune femme jusqu'à lui faire donner à chaque impulsion des coups de boule à ses interlocuteurs ne m'a pas plongé dans une hilarité délirante. D'ailleurs, si la représentation que propose John Cameron Mitchell est délestée de l'animalité morne ou de l’établissement de rapport de force, voire de la violence, accompagnant souvent ce genre d'expérience des limites, elle ne se développe pas moins sur un fond de mal-être général. Les spécimens new-yorkais qui défilent devant la caméra (blancs, noirs, asiat’, homos, héteros, jeunes, vieux, dominateurs, dominés) ont tous leur blocage, leur blessure secrète, leur névrose, et la construction du récit les pousse à les exposer un par un devant un tiers, dans une succession d'aveux ennuyeux au possible.

    Surtout, le scénario, concocté en collaboration avec chaque comédien engagé, n'a ni queue ni tête (si l’on peut dire…), Mitchell s'efforçant de raccorder chaque histoire individuelle en faisant se croiser les personnages, la plupart du temps n'importe comment, donnant ainsi l'impression de bâtir un Magnolia du pauvre. Ce lieu singulier, ce club où se retrouvent tous ces naufragés du cul pour partouzer dans une ambiance bon enfant et au son d’un orchestre pop, ce "Shortbus" donc, aurait pourtant pu suffire à tisser les liens nécessaires. La dimension utopique, quasi-fantastique, de ce refuge aurait également gagné à être poussée plus avant. Le spectacle érotique manque sans doute de rituel et la réalité du monde extérieur encombre encore trop le lieu. Les mêmes histoires s’y prolongent et la mise en scène ne change pas lors du passage des appartements au club, toujours aussi mal fichue. Changements de supports (pellicule ou vidéo), décadrages intempestifs, faux raccords volontaires, coupes dans les phrases… John Cameron Mitchell s’offre une resucée du Dogme danois, avec dix ans de retard.

    Mais le pire est pour la fin, avec ces dernières séquences de fête unanimiste, d’une niaiserie effarante. Où l’on réalise tout d’un coup qu’un film démarrant par le montage parallèle d’une auto-fellation, d’une séance SM et d’une baise acrobatique peut se terminer comme une gentille œuvrette de Christophe Barratier... Pas très excitant tout ça…

  • Life during wartime

    (Todd Solondz / Etats-Unis / 2009)

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    lifeduringwartime.jpgLife during wartime se présente plus (mêmes personnages) ou moins (acteurs différents) comme la suite de Happiness (1998), film le plus réputé, à juste titre, de la filmographie de Todd Solondz. Le cinéaste rejoue sa petite musique grinçante pour traduire toute l’horreur que lui inspire la middle class américaine, proprette en surface mais minée en profondeur par les névroses et les déviances. Cette guerre, il la mène depuis au moins dix ans, et entendre une mère de famille expliquer à son fiston qu’elle s’est sentie toute mouillée lorsque son prétendant l’a touché ou que les pédophiles sont des terroristes ne provoque plus vraiment d'effet de surprise. Les bousculades narratives de Storytelling (2001) et de Palindromes (2004) avaient réussi à masquer le goût de réchauffé (selon moi de manière assez impressionnante en ce qui concerne le deuxième) mais cette fois-ci, il n’y a plus rien pour accompagner cette énième reprise des thèmes obsédant le cinéaste. Que ce soit à l'image ou au montage, Solondz a décidé cette fois de tout mettre à plat.

    Le film paraît lent, notamment à cause d'une succession de scènes très similaires. Toutes sont en effet écrites pratiquement de la même façon, en prenant appui sur des dialogues ressassant l'idée du pardon, le problème étant que ces échanges renvoient la plupart du temps à un passé volontairement mal éclairé (à moins, peut-être, que l'on ait encore très clairement en tête les situations développées dans Happiness). Les confrontations organisées sont de toute façon trop longues. On y tourne en rond. Plus inquiétant encore, on en arrive à prévoir les choses à l'avance : ce panoramique partant d'un répondeur et balayant une chambre ne peut que s'arrêter sur un corps inanimé, cette phrase de Charlotte Rampling ("J'ai besoin d'autre chose qu'une simple caresse") ne peut qu'être collée à un plan sexuel, cette recommandation maternelle ("Si on te touche, tu cries !") ne peut que déboucher plus tard sur un "gag" mécanique (ayant de surcroît une conséquence scénaristique déconnectée de toute vraisemblance comportementale).

    L'échec de Life during wartime est donc aussi bien narratif (les transitions sont laborieuses et les vignettes faussement idylliques et véritablement ironiques ne parviennent pas élever le reste) qu'esthétique (la photographie, neutre, n'a pas dû demander beaucoup de travail à Ed Lachman, l'apparition de fantômes ne faisant en rien dévier la ligne morne du film). Pas de scène-choc, pas de performance d'acteur notable... Il ne reste qu'à prendre acte de la permanence du pessimisme de Solondz, à se satisfaire du fait qu'il n'en fait toujours qu'à sa tête et qu'il ne semble pas prêt à rentrer dans le rang et surtout à espérer qu'il trouve prochainement un second souffle.

  • Lola

    (Brillante Mendoza / Philippines - France / 2009)

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    lola.jpgUne immersion.

    Voilà ce que propose Brillante Mendoza avec Lola. Il se cale dans les pas lents mais déterminés de "Lola" ("Grand-Mère") Sepa et "Lola" Carpin, alternativement. La première cherche à enterrer dignement son petit-fils, la seconde à libérer de prison le sien, l'un étant le meurtrier de l'autre. La caméra mobile, portée à bout de bras, suit les déplacements des deux vieilles femmes dans Manille et ses environs, dans les rues bondées, dans les gares, dans les arrière-cours, dans les bureaux de l'administration. Ces héroïnes fatiguées sont placées au premier plan mais ce qui se passe autour d'elle est au moins aussi important : la vie d'une cité est captée, les petits accidents du réel, semblant à peine provoqués, sont enregistrés. Ce n'est pas seulement la population qui affirme sa présence mais bien la ville dans toutes ses dimensions : sociale, géographique, architecturale, sonore. Dans ces conditions de tournage dans la rue, on imagine le travail compliqué et on admire une mise en scène vibrante mais toujours lisible, claire et réfléchie.

    L'immersion, c'est également, au sens premier, la plongée dans un liquide. L'eau est omniprésente dans Lola, que Mendoza a volontairement réalisé au moment de la saison des pluies. Tout le quartier de Lola Sepa se trouve inondé jusqu'aux étages des maisons et les déplacements doivent s'y faire en barque, y compris le cortège funéraire (la séquence est, pour nous, étonnante, même si on saisit bien que la situation n'a sans doute pas pour cette population un caractère si exceptionnel). La force de la pluie est décuplée par celle du vent. Leur conjonction éprouve les corps des deux femmes courbées, mal protégées par des parapluies dérisoires.

    Dans ce qui est quasiment la première séquence, se trouve réuni tout ce qui fait le prix du film. Au coin d'une rue, près d'un groupe d'enfants jouant par terre sans se soucier du reste, Lola Sepa, accompagnée de l'un de ses petits fils, lutte contre les éléments en tentant d'allumer une bougie sous les bourrasques. La finalité du geste n'est pas clarifiée tout de suite, l'effort est répété plusieurs fois et le temps s'étire : une aura mystérieuse s'installe, densifiant le réel enregistré.

    A plusieurs reprises, plus régulièrement avec l'approche de la fin du film, entre les séquences évoluant au ras du quotidien viendront s'intercaler de la même façon des moments qui, s'ils ne se détachent pas du cadre ni du récit, libèrent un lyrisme marqué et orchestrent une progression qui repousse tout sentiment de monotonie. Ils ne prennent toutefois leur valeur que par rapport aux autres, à la beauté moins évidente mais à la nécessité aussi incontestable. En effet, le réalisme absolu de la plupart des séquences permet d'éloigner le spectre du symbolisme pesant et de placer des ponctuations qui ne se transforment pas en grossier nœud dramatique (par exemple, la mise en gage du poste de télévision par la grand-mère provoque une colère mais pas un drame). Surtout, est rendu possible l'éclairage de personnages complexes et évolutifs. Pendant une bonne partie du film, les vieilles femmes semblent les seules à chercher à faire tenir cette société, faisant le lien entre les enclaves familiales et administratives, chapeautant des familles auxquelles il manque, à chaque génération, un membre. L'attachement que l'on ressent en est d'autant plus fort, malgré ce que l'on perçoit aussi chez elles : caractère buté ou manigances. Or, au bout de cette vision pessimiste, on réalise tout de même que l'apaisement recherché est aussi obtenu grâce aux générations suivantes, qui semblaient pourtant bien passives. Ce sont de telles trouvailles d'écriture ou de mise en scène (comme le détail des reporters filmant avec désinvolture le résultat  des inondations sur le quartier, reporters qui sont montrés après un travelling qui pourrait tout aussi bien avoir été réalisé avec leur caméra) qui donnent le sentiment que le film de Brillante Mendoza est au final moins simple qu'il n'y paraît.

  • En chantant derrière les paravents

    (Ermanno Olmi / Italie - France - Royaume-Uni / 2003)

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    paravents15.jpgEn chantant derrière les paravents (Cantando dietro i paraventi en italien) : le titre poétique et mélodieux de ce film, ainsi que la signature qui y est apposée, celle d'Ermanno Olmi, préviennent le spectateur. S'il sera question d'aventures maritimes, la mise en scène ne ressemblera guère à celles ayant donné naissance aux épopées flibustières du cinéma à grand spectacle, qu'il provienne d'Hollywood ou de Cinecitta, qu'il mobilise les foules de figurants du début du siècle dernier ou qu'il court aujourd'hui vers le tout numérique. Olmi nous conte bel et bien une histoire de pirates mais il ne cesse d'en questionner le mode de représentation, proposant un jeu théâtral, un dialogue entre la scène et l'écran, le réel et son imitation, le comédien et le personnage, le conteur et le spectateur.

    L'entrée dans le film se fait comme dans un capharnaüm. Tout s'offre à notre regard en même temps, par bribes : le spectacle et sa machinerie, les allées et venues du public et des hôtes, la représentation théâtrale d'un récit et son illustration purement cinématographique, les artistes se donnant en spectacle sur les planches jouant aussi les rôles de la fiction mise en images. Le montage vif, éclatant ainsi les points de vue, semble éclairer les rouages qui mettent en route tout type de récit et s'il commence par déstabiliser, c'est pour mieux souligner que tout conteur doit savoir piquer la curiosité dès son entrée en jeu afin de tenir son auditoire sous sa coupe. Ce désordre apparent montre aussi que la moindre amorce de récit peut capter l'attention.

    Parmi les figures présentées dans cette introduction, celle d'un jeune homme à l'allure ecclésiastique se détache jusqu'à paraître se faire le relais du spectateur (il s'avèrera que le film propose en fait toute une série de relais de ce type, de nombreux personnages se retrouvant en train d'écouter parler quelqu'un ou de regarder un autre agir). Petit occidental perdu en Chine, il croit se rendre à l'Institut de Cosmologie lorsqu'il franchit le seuil de ce cabaret faisant également office de bordel. Forcément troublé par le spectacle offert par une magnifique danseuse-pirate exécutant avec grâce, et dans le plus simple appareil, ses adversaires, ainsi que par l'accueil qui lui est réservé par les hôtesses du lieu, il ne tarde pas à abandonner toute idée de résistance et de fuite (ce parfum d'érotisme contaminera tout le film, jusqu'en des moments délicieusement inattendus). Cet abandon coïncide avec la mise en œuvre véritable du récit principal, à tel point qu'il semble en être l'origine. La représentation et la vie se confondent.

    Devient alors prédominante à l'écran, juste interrompue ça et là de quelques retours dans le cabaret, l'illustration des aventures de la veuve Ching, pirate sillonnant les mers près des côtes chinoises et défiant la marine de l'Empereur. Depuis ses débuts remontant à la fin des années cinquante, Ermanno Olmi a toujours travaillé l'idée de réalisme en la reliant à un savoir légendaire, à des racines mythologiques, au goût qu'ont les hommes pour les contes (le point d'équilibre ayant été trouvé notamment dans les deux magnifiques films que sont L'arbre aux sabots (1978) et À la poursuite de l'étoile (1983)). Ici, il use avec parcimonie des effets spéciaux (à peine semblent-ils se limiter à quelques plans de flotte navale et ils sont de plus au service d'une vision que nombre de cinéastes devrait s'approprier au lieu de s'épuiser à créer numériquement du grand spectacle, celle d'une "menace fantôme") et aux débordements technologiques, il préfère la recréation par l'artisanat, par la réalité d'un lieu redécouvert, d'un bateau reconstruit, d'un canon dépoussiéré. La sobriété dans l'agencement des éléments apparaissant dans le cadre et la recherche constante d'un certain poids de réel éloigne toute tentation simplement décorative. Ce réalisme est donc au service d'une fable. La façon dont a été présenté cet enchevêtrement de récits et d'illustrations permet d'accepter tous les artifices qui les soutiennent : les personnages chinois sont joués par des Asiatiques de tous horizons et doublés en italien, la mise en scène fait croire que nous voguons près de la Chine alors que le tournage s'est déroulé au Monténégro...

    Certes, En chantant derrière les paravents n'est pas une œuvre parfaite. Voilà un film bien plus entraîné par un dynamisme intellectuel que physique (les rares séquences de bataille sont comme filmées "en creux") et qui apparaît par moment un peu trop langoureux. Il reste toutefois hautement stimulant par son jeu narratif célébrant la puissance de la fiction et par la diversité de ses thèmes, tous abordés avec subtilité, comme celui de l'identité féminine dans un monde d'hommes ou comme le questionnement politique autour de la légalité et la notion de révolte juste. Le plus important de tous est celui du pardon. Le renoncement aux armes et au combat devient l'enjeu de la dernière partie. Non seulement ce thème s'impose peu à peu à la suite de la disposition au fil du récit de nombreux éléments scénaristiques importants préparant son déploiement (le changement des règles à bord du navire, l'évolution des rapports entre les pirates et leur "butin humain"...), mais son importance est rendue sensible par la mise en scène elle-même. A la montée en intensité du récit, à la raréfaction des décrochages fictionnels dus aux retours au cabaret, à la promesse d'une bataille, répond finalement une suspension du temps, une longue attente, un intrigant face à face immobile, nous accompagnant pendant la très belle dernière demie-heure du film. Au final, le conteur peut alors revenir sur scène et nous saluer en se félicitant que depuis les temps agités dans lesquels il vient de nous plonger, les mers et les terres du globe connaissent la paix. Il n'en est rien bien sûr, mais le temps d'un récit, nous pouvons croire à tout.

     

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  • The dark knight

    (Christopher Nolan / Etats-Unis - Grande-Bretagne / 2008)

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    darkknight.jpg"Why so serious ?"

    En effet, pourquoi si sérieux ? Car The dark knight, film de la décennie pour les utilisateurs de l'imdb et pointant au vingtième rang du classement des blogueurs cinéma, est à mon sens bien trop sentencieux, bien trop boursouflé, bien trop long, bien trop froid, bien trop concerné...

    Le choc initial provoqué par cette vision d'une Gotham City présentant tous les aspects du New York contemporain n'est pas trompeur : Batman est devenu le héros d'un blockbuster tout à fait actuel et se montrant à chaque instant soucieux de l'état du monde à l'aube de ce nouveau millénaire. Il nous est donc rigoureusement impossible d'échapper aux réminiscences du 11 septembre 2001, aux réponses que peuvent donner les démocraties face à la menace terroriste,  à la réflexion sur la tentation du totalitarisme sous couvert de politique sécuritaire, à l'évocation d'un banditisme sans frontières (gangsters noirs, mafiosi, hommes d'affaires chinois, hommes de main d'Europe de l'Est : tous appartiennent à la même nébuleuse). De plus, à l'image de la quasi-totalité des affrontements organisés entre les personnages principaux, chaque séquence importante cache en fait un enjeu moral incommensurable et débouche sur un lourd dilemme. Nous en arrivons alors à trouver particulièrement bête une scène comme celle, bien-pensante, des deux ferries bourrés d'explosifs (les passagers, "simples citoyens" d'un côté et dangereux détenus de l'autre, sont poussés par le Joker à faire exploser le navire d'en face pour sauver le leur).

    Ambitieux, The dark knight n'a finalement pas grand chose à voir avec un film de super-héros. Il se rapproche bien plus, selon les moments, du thriller, de l'espionnage (une escapade à Hong-Kong inutile), voire, dans la construction du personnage du Joker, du film de serial killer (les séquences de commissariat). Se voulant éminemment politique, il commence par nager dans les eaux troubles de la criminalité économique et s'y noie régulièrement (je n'ai pas saisi la teneur de plusieurs séquences dans cette première partie) avant de recentrer avec plus de bénéfices son récit sur les trois ou quatre figures principales.

    La noirceur du film et la dualité de Batman ont été applaudi sans mesure. Remarquons qu'il ne s'agit ici que d'un phénomène d'amplification, Nolan ne faisant que pousser le curseur un peu plus loin. Mettre à jour l'ambiguïté et les douleurs nichées dans le coeur du super-héros a tout du programme minimum depuis le travail de Tim Burton (sinon celui de Richard Lester qui pouvait par exemple faire provoquer par son Superman des accidents involontaires et lui faire rater ses sauvetages). La violence, quant à elle, monte également d'un cran, essentiellement véhiculée par la tonalité des séquences de combats ou de tortures, bien que Nolan reste tout de même dans des limites très strictes, de peur de s'aliéner une partie du public de la série, en suspendant les gestes au dernier moment ou en les reléguant dans le hors-champ. Surtout, l'ensemble ne propose guère de singularité stylistique : le cinéaste du plaisant mais limité Memento nous ressert à plusieurs reprises un travelling circulaire pour filmer des conversations et lorsqu'il a la possibilité de créer du décalage, il revient aussitôt dans les rails (quand le Joker est tenu dans le vide par Batman, la tête en bas, la caméra pivote sur elle-même pour le cadrer "à l'endroit").

    Tout n'est heureusement pas dépourvu d'intérêt dans The dark knight : la notion d'enfantements successifs de monstres est assez saisissante, la séquence introductive du hold-up est impressionnante par sa nervosité et celle, centrale, de la poursuite en véhicules blindées est un morceau de bravoure bluffant. Mais derrière l'actualisation à marche forcée du mythe, souffrant ici de l'absence d'une émotion autre que victimaire et d'un déficit de poésie noire, je regrette fortement que transparaisse la défaite de l'imaginaire.

  • Le village

    (M. Night Shyamalan / Etats-Unis / 2004)

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    levillage.jpgC'est l'histoire d'une communauté qui, ayant décidé des années auparavant de se retirer du monde, s'aperçoit que la violence et la pulsion de mort peuvent tout aussi bien naître dans un milieu surprotégé et donc que l'innocence de l'être humain est une chimère. Etrangement, cette brutale révélation ne provoquera en son sein aucune remise en cause.

    Dans ce mortel Village (The village), Shyamalan capitalise sur sa réputation de petit maître de l'épouvante et s'acharne à inquiéter à partir de rien en usant des procédés habituels, des brusques recadrages au refus du contrechamp immédiat en passant par un mixage anxiogène. Pour des raisons d'efficacité, le point de vue adopté est celui des victimes. Doutant très tôt de la réalité du danger décrit, le spectateur pourrait au moins être amené à supposer que la perception qu'ont les personnages de ces silhouettes et de ces bruits est amplifiée inconsciemment par ceux-ci. Mais non, cette "subjectivation" n'est jamais vraiment assumée et la mise en scène n'assène ses effets sonores et visuels que dans le but de saisir.

    Ce récit amorphe ne peut de toute façon aucunement prétendre à l'angoisse, pas plus que l'œuvre ne peut être définie comme autre chose qu'un "petit film d'horreur". Entre les rares moments de tension se déroule en effet une chronique d'un ennui insondable. Les villageois les plus jeunes, personnages prenant en charge la mise en route de la fiction, paraissent extrêmement limités mais n'en expriment pas moins de complexes émotions. Avec un tel décalage, le ridicule est assuré. L'interprétation est d'une médiocrité confortable (la palme est à partager entre Adrien Brody en idiot du village et Joaquin Phoenix en jeune homme ombrageux et préoccupé). L'esthétique est d'une belle clarté télévisuelle. L'académisme pétrifie chaque plan.

    De la même manière qu'il joue des couleurs (jaune contre rouge), c'est-à-dire avec une subtilité kolossale, Shyamalan charge une aveugle de dessiller les yeux de ses congénères qui refusent de voir. Regarder cette jeune femme arpenter le village avec une aisance confondante malgré son handicap nous laisse envieux car nous nous rendons compte qu'elle au moins connaît parfaitement le terrain alors que, de notre côté, nous ne pouvons que nous affliger devant l'incapacité totale du cinéaste à établir une topographie précise au sein d'une œuvre se fondant pourtant sur l'idée de territoire. Je défie quiconque de recomposer mentalement la géographie de ce village après la vision du film...

    Ah ça, pour faire des plongées entre quatre arbres de dix mètres de haut sous la pluie, pour aligner parfaitement trois profils dans la perspective, pour ponctuer une séquence romantique d'un panoramique sur une chaise vide et de quelques notes de piano, Shyamalan, c'est pas le dernier... Mais dès qu'il s'agit de travailler la notion d'espace et de bâtir un récit qui tienne la route, y'a plus personne...

  • Country teacher

    (Bohdan Slama / République Tchèque - France - Allemagne / 2008)

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    country1.jpgBohdan Slama semble avoir retrouvé, en partie, le secret du cinéma tchèque (ou tchécoslovaque) des années soixante (à moins que celui-ci n'ait jamais été perdu, mais de cela il est bien difficile de juger, compte tenu de la distribution en France pour le moins limitée des œuvres de cette contrée). Country teacher (Venkovsky ucitel), troisième long-métrage du cinéaste, possède ainsi un charme qui renvoie aux sensations éprouvées devant les films de Forman, Passer, Menzel ou Jires. Ce charme provient de la douceur de la lumière naturelle, de l'approche sensible des êtres humains, de l'étude souriante des qualités et des défauts des diverses populations, du goût pour la musique, l'alcool et les fêtes improvisées jusqu'au petit matin. En faisant de son héros un professeur d'école ayant quitté Prague pour s'installer à la campagne, Bohdan Slama semble tout d'abord nous proposer une chronique de village, l'observation d'un milieu particulier à travers les yeux d'un personnage déplacé, en retrait, entre bienveillance et tristesse.

    Slama opère discrètement, tournant autour des comédiens lors de plans-séquences enveloppants. Sans ostentation, la caméra glisse, parfaitement calée sur le rythme des dialogues et des gestes et c'est comme par hasard si le cadre dévoile à certains moments des perspectives inattendues. Ces ouvertures sur le paysage arrivent sans effort visible, dans la continuité de ce qui est donné à voir au premier plan. La rareté de la musique, laissant la place aux bruits de la campagne, accentue l'impression de calme. Progressivement, cependant, l'accompagnement musical va se faire plus important, entraînant dans son sillage une gravité certaine.

    Une conversation entre le directeur de l'établissement et le professeur laissait sous-entendre que le choix de mutation de ce dernier pouvait être dû à une raison peu avouable. Mais de secret, il n'y en a plus  au bout d'une demie-heure. Bohdan Slama place en effet, en cet endroit assez étrange du point de vue narratif, une séquence familiale explicative. La légèreté de ton employé jusque là se trouve alors quelque peu encombrée par plusieurs dialogues appuyés. Le film en son entier se voit soudain lesté de psychologie et va dès lors constamment flirter avec le danger d'être aspiré par son sujet puisque tout s'articule, à partir de là, autour du problème de mœurs qui nous a été dévoilé.

    A la liberté narrative que l'on nous a fait miroiter, à une certaine suspension de la marche du temps et des événements, se substitue donc une trame déroulée de manière un peu trop volontariste. Certes, nous restons le plus souvent dans l'énonciation à demi-mots mais le "vouloir dire" du cinéaste transparaît trop aisément. Son sujet a tendance à faire écran et le symbolisme des derniers plans, bien que véhiculé avec une retenue stylistique appréciable, lasse au lieu de transporter. Trop évident apparaît ainsi l'écho formulé en reprenant à la fin l'une des séquences introductives. Le professeur avait, devant ses élèves, élaboré une réflexion à partir d'une coquille d'escargot, une coquille vide, à l'image de sa vie sociale et affective. Passées bien des épreuves, il leur présentera plus tard la même chose mais en insistant cette fois-ci sur la merveilleuse capacité qu'à la nature à créer des êtres toujours absolument différents les uns des autres.

    Cet acceptation de soi et des autres passe par un enchaînement bien connu : faute, culpabilité, expiation, pardon. Le lourd débat de société n'est pas très loin, qui pourrait s'appuyer sur cette description d'une conduite particulière débouchant sur un dilemme moral. Finalement, c'est surtout cela qui fait de cet estimable Country teacher un film d'aujourd'hui et non de 1965.

     

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  • Le samouraï du crépuscule

    (Yoji Yamada / Japon / 2002)

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    samouraiducrepuscule.jpgAvec Le samouraï du crépuscule (Tasogare Seibei), il ne faut pas s'attendre à un film de genre plein de bruits de lames qui s'entrechoquent, de giclées de sang ou de sauts périlleux arrière. Yoji Yamada, vénérable artisan du cinéma japonais qui s'est lancé dans une trilogie historique consacrée aux samouraïs après avoir œuvré essentiellement dans la comédie sociale, tourne ostensiblement le dos à toute notion d'épopée et à tout effet spectaculaire. Situé dans la deuxième moitié du XIXe, au moment où cette caste particulière se voit sur le déclin, le récit s'attache à décrire un épisode de la vie de l'un de ses membres, l'atypique Seibei Iguchi, homme simple et pauvre, s'occupant seul de ses deux petites filles et sentant son âme devenir plus paysanne que guerrière. C'est donc avant tout à l'étude minutieuse d'un quotidien peu éclairé d'ordinaire que nous convie Yamada.

    Sa mise en scène est très classique, très sage. Entre les panneaux coulissants des intérieurs et les murets des extérieurs, le film peut paraître un brin étriqué même s'il colle mieux ainsi à son projet initial : démythifier la figure du samouraï. Très estimables sont les efforts réalisés en vue d'une caractérisation sociale et morale précise. Moins bien géré est l'appel à l'émotion, les dialogues, relativement abondants, n'étant pas d'une originalité folle. De plus, le choix de laisser une voix off redondante, celle de l'une des fillettes devenue une vieille femme, prendre en charge la narration fait tendre quelques séquences vers une certaine sensiblerie.

    Fort heureusement, Yamada parvient à nous attacher à son personnage principal, ce samouraï que ses collègues fêtards surnomment "Crépuscule" car il rentre invariablement chez lui tous les soirs, une fois son travail de paperasse effectué, avant la tombée de la nuit. Cet être qui apparaît médiocre aux yeux de beaucoup est en fait un sabreur redoutable : un duel auquel il ne peut échapper nous le prouve, à nous et à toute la communauté ébahie. Endossant une nouvelle réputation à contre-cœur, minimisant l'ampleur de ses talents, refusant d'évoquer le moindre fait d'arme d'un passé que l'on peut imaginer glorieux, Seibei se trouvera malgré lui entraîné à nouveau dans la violence, soumis à la règle d'obéissance du samouraï et aux calculs politiques et guerriers de ses chefs. Les deux seuls combats que donne à voir Yoji Yamada, filmés en plans très longs et sans musique, laissent passer finalement plus d'émotion, par la mise à jour du tiraillement qu'ils provoquent chez Seibei, que les pauses amoureuses entre ce dernier et la sœur de son ami ou que l'égrenage des souvenirs attendris par sa fille.

  • Panique au village

    (Stéphane Aubier et Vincent Patar / Belgique / 2009)

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    panique13.jpgAutant que le Week end de Godard, Panique au village est un film "égaré dans le cosmos" et, s'il n'a pas été trouvé "dans la ferraille" comme celui du cinéaste français, il a dû l'être dans le coffre à jouets d'un petit belge. Film-monde qui n'obéit qu'à ses propres règles esthétiques et narratives, l'œuvre d'Aubier et Patar est le 2001 de l'animation déconnante, le Jour de fête de la figurine en plastique, le Nouveau monde du nonsense aventureux, le Twin Peaks du plat pays.

    Ces scènes de chasse en Basse-Wallonie ont comme premier mérite, avant de laisser le récit larguer les amarres, de s'ancrer fermement dans la réalité du monde rural et d'énoncer quelques vérités trop oubliées : les paysans sont bougons mais serviables, les fermières ne lâchent jamais leur seau, les chevaux dorment debout, les facteurs ressemblent tous à Jacques Tati, les cowboys sont un peu bêtes, les gendarmes sont tatillons mais vite dépassés, les tracteurs doivent être souvent réparés... Dans Panique au village, ce sont trois personnages principaux qui mènent la danse. Avant qu'il ne s'effondre, ils vivent sous le même toit. Ils se nomment Cheval, Cow-boy (ou Coboy) et Indien, et les liens de parenté qui les unissent ne sont pas très clairs. Le premier a une certaine aura paternelle quand les deux autres accumulent les bévues, mais rien n'indique que ces derniers soient ses rejetons. Dans ce monde de dingues, l'amour entre espèces différentes ne semble tout de même pas possible. La preuve : Cheval est amoureux de la prof de piano du conservatoire, Mme Longrée, qui s'avère être une jument portant le sac à main autour d'une somptueuse crinière rousse et ayant la chance de parler avec la voix de Jeanne Balibar.

    Ici, nous ne sommes pas dans Toy story et les personnages n'ont aucune conscience d'être de simples jouets d'enfants animés. Ainsi, il est parfaitement logique que Cheval rêvasse de la même façon que nous, en se croyant propulsé avec sa favorite dans un musical à la Vincente Minnelli. De pause, il en a d'ailleurs bien besoin tant l'absurde course du monde est accélérée par la bêtise de ses deux acolytes.

    Les metteurs en scène organisent impeccablement ce crescendo destructeur et absurde. Ils jouent des différences de vitesse et de volumes (motif présent dès le point de départ du récit avec le maladresse entraînant la livraison de millions de briques dans le jardin de Cheval). Ils orchestrent un détonant concert de voix (celle de Steven, le fermier qui gueule littéralement chaque phrase, prise en charge par Benoît Poelvoorde, semble imposer son rythme furibard à tout le film). Ils travaillent toute la pâte sonore, laissant leurs figurines entravées par leurs socles se déplacer au son d'un métronomique et endiablé tac-tac-tac-tac. Enfin, ils convoquent pour la bande originale des musiciens en parfait accord avec leurs thématiques. Au centre du film, se déroule une longue séquence de soirée d'anniversaire bruyante et alcoolisée. La participation du groupe Dionysos n'étonne donc pas. Mais il est un autre contributeur qui renforce encore la cohérence du projet : le bien nommé French Cowboy. Il suffit de se rappeler que derrière ce patronyme se cache depuis quelques années le leader des regrettés Little Rabbits pour que l'admirable évidence saute aux yeux. En effet, si la basse-cour de Panique au village regorge de vaches, de poules et de cochons, l'absence totale de lapins crée une béance, un non-dit douloureux.

    Sachez toutefois que le bestiaire ne se limite pas ici aux animaux de la ferme, pas plus que l'histoire n'est circonscrite au périmètre du hameau. C'est d'ailleurs sur ce plan-là qu'Aubier et Patar font très fort, en imaginant qu'un point de passage entre deux mondes s'est créé au niveau de la petite mare dans la cour de Steven et Janine. Arrivés à ce point, nous ne nous en étonnons pas plus que cela puisque nous bouclons alors un périple géographiquement ahurissant qui, partant et finissant à la ferme, nous aura successivement entraîné au centre de la terre, au Pôle Nord, au milieu de l'océan, puis dans les grands fonds marins. Pour ce qui est de l'éclatement des repères, de la porosité affolante entre des mondes insensés et de l'apparition de créatures grotesques ou inquiétantes, Lynch, Burton et Miyazaki peuvent aller se rhabiller ensemble. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que les bovidés peuvent ici, dans un geste plus proche des Monty Pythons que de Buñuel, servir de projectiles lorsqu'il faut défendre son territoire.

    Oui, Panique au village est assurément une folie vivifiante, une œuvre dont se dégage une poésie qui ne tient pas seulement à une nostalgie de l'enfance, une tarte à la crème qui, chose rare, peut être réellement savourée par tous, de sept à septante-sept ans, sans qu'y apparaisse le moindre compromis. Mais il vous vient certainement à l'esprit cette question : qu'apporte ce passage au long-métrage d'une hilarante série de courts (naguère diffusés sur Canal+) ? Je pourrai répondre en assurant qu'un OVNI de la sorte, n'avançant que selon sa logique interne, peut aussi bien durer cinq minutes que trois heures. Et si vous n'êtes pas convaincu, je répondrai alors à la manière de Steven : "BON ÇA VA BIEN MAINTENANT ! ÇA CHANGE RIEN, ET ALORS ??"

     

    logokinok.jpgChronique dvd pour

  • Pour aller au ciel, il faut mourir

    (Djamshed Usmonov / Tadjikistan - France - Russie - Allemagne - Suisse / 2006)

    ■■■□

    pourallerauciel.jpgJusqu'à un certain point, c'est très simple...

    Pour commencer, il suffit de chercher à expliquer ce qui fait le charme commun de ce film-là, du précédent Usmonov (L'ange de l'épaule droite, 2002, après le brouillon du Vol de l'abeille, 1998) et des deux premiers Darejan Omirbaev, le collègue kazakh (Kairat, 1992, Kardiogramma, 1995). S'en dégage comme un parfum de Nouvelle(s) Vague(s) : sensation de liberté, jeunesse des protagonistes, déplacements constants par divers moyens de transports donnant à voir la réalité d'un paysage...

    Si Djamshed Usmonov propose une mise en scène épurée, la rigueur dont il fait preuve n'entraîne pas l'étouffement, ni l'incompréhension, ni la fatigue. Si les personnages restent parfois immobiles, ils ne prennent jamais la pose, leur attitude traduisant plutôt une ouverture au monde et à ses potentialités. Le déroulement des séquences est tel qu'il diffère régulièrement, de quelques secondes, l'explication de leurs raisons d'être, stimulant ainsi le regard du spectateur. De plus, cette rigueur esthétique permet, souvent, de glisser un humour discret et d'attiser le désir, comme peut le faire par exemple un simple plan sur une nuque, celle d'une jeune femme dans un bus, inconnue qui le restera.

    Car comme les films pré-cités, Pour aller au ciel, il faut mourir (Bihisht faqat baroi murdagon) est surtout un récit d'apprentissage. Kamal est un jeune homme qui suit toutes les filles qu'il croise dans la rue. Son obsession de la rencontre amoureuse l'amène à connaître quelques savoureuses déconvenues. Une scène saisissante semble visualiser le fantasme de Kamal : cherchant à la sortie de l'usine la jolie fille rencontrée le matin, il se trouve pris dans un flot interminable d'ouvrières. Comme si toutes les femmes après qui il courait déferlaient sur lui. L'insistance de ce plan étonne, tout comme sa conclusion heureuse. L'enchaînement érotique qui tire Kamal jusque dans le lit de Véra a quelque chose de magique (nous retrouvons une nouvelle fois, avec émotion, la merveilleuse Dinara Drukarova, révélée en 1989 par le Bouge pas, meurs, ressuscitede Vitali Kanevski). Le réveil n'en sera que plus déstabilisant. Cadré frontalement, calme et inquiétant, apparaît le mari.

    Là où les choses se compliquent...

    Dès lors, Kamal va continuer à vivre sa vie comme un fantasme, mais sur un autre versant, beaucoup moins lumineux. Kamal passe au film noir. Mais mieux vaut revenir en arrière. Lors de la première scène du film, Kamal, explique à son médecin qu'il s'est marié très jeune, presque par défaut, et qu'il n'arrive pas à faire l'amour à sa femme. Fin du premier plan, qui dure le temps de toute la séquence, et inscription sur l'écran du titre du film. Nous retrouvons alors Kamal dans le train, en direction de la ville. Au dernier plan du film, il sera à nouveau dans un compartiment, filant dans l'autre sens. Le train étant sans doute le moyen de transport le plus propice à la rêverie (celui que prend Kamal s'avérant, de surcroît, un train de nuit), nous frôle cette interrogation : le jeune homme a-t-il réellement vécu tout ce qui nous a été conté entre ces deux trajets ?

    Kamal vient de vivre en quelques heures (mais les repères temporels sont volontairement très flous) l'aventure amoureuse puis criminelle qu'il aurait pu vivre avant de se marier, avant de s'installer. Cette initiation, qui vient ainsi en léger décalage dans la construction de cet individu, se trouve du coup compressée dans le temps et elle se finit d'autant plus violemment, dans un engrenage implacable. Kamal devient un homme et le passage se fait par plusieurs points : par l'action qui implique le corps et l'âme, par la prise de décision (magnifiquement symbolisée par un demi-tour en barque, encore un moyen de transport...) et enfin par la sexualité accomplie. Djamshed Usmonov ose laisser penser que Kamal peut aimer parce qu'il a tué.

    C'est donc compliqué... mais c'est aussi assez impressionnant.