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  • Le mariage à trois

    (Jacques Doillon / France / 2010)

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    J'étais venu pour une projection spéciale du film, rare, de Christian de Chalonge sur l'émigration des ouvriers portugais, O Salto (1967). Malheureusement, contrairement à ce qu'annonçait le programme, la copie présentée s'est révélée dépourvue de sous-titres. Étant tout sauf lusophone, je dus donc rapidement déclarer forfait. Il me fut alors proposé, afin de ne pas m'être déplacé pour rien, d'assister à l'une des autres séances du soir.

    lemariagea3.jpgLe choix de ce Mariage à trois a donc été fait par défaut et je n'aurai probablement pas été voir ce nouveau Doillon sans ce concours de circonstances, ce que j'en savais jusque-là ayant faiblement stimulé ma curiosité (malgré l'estime que je peux avoir pour certains films de l'auteur, Raja étant, en ce qui me concerne, le dernier en date). J'avoue donc que je n'étais pas dans les meilleures dispositions...

    Il faut dire aussi que Doillon tend un fagot entier pour se faire battre : thème rabattu de la valse des sentiments entre quatre personnages (thème se croisant avec celui non moins fréquent des affres de la création), dialogues très soutenus, respect des régles (unité de temps et de lieu) et des figures de style (entrées et sorties de champ) théâtrales, cadre bourgeois d'une vaste demeure campagnarde, casting venant du sérail du cinéma d'auteur national... La liste est trop longue pour que la barrière dressée entre le cinéaste et moi ne soient pas insurmontable. Consistant en une série d'affrontements plus ou moins feutrés, à deux, à trois ou à quatre, la majorité des séquences s'étire pour finir par filer entre les doigts, par laisser l'esprit vagabonder ailleurs, loin des petits problèmes de cœur et de cul qui nous sont exposés, analysés, décortiqués sans fin jusqu'à se vider de toute substance. De même, l'ahurissante inconstance à laquelle obéissent les émotions et les réactions des personnages (l'imprévisibilité étant ici érigée en règle) rendent celles-ci totalement insignifiantes. Enfin, l'artifice est partout. Longuement les acteurs déroulent leur texte tout en faisant semblant de mettre la table, de placer les couverts, de cuisiner, de manger, et nous ne voyons de ces actions que les rouages. L'effet de réel est nul.

    Comment, dans ces conditions, le film parvient-il à échapper au naufrage absolu ? Par l'envie, malheureusement bien trop intermittente et trop peu assumée, qu'a eu le cinéaste de prendre un peu de distance avec son sujet. Ce mouvement de recul se traduit par des mises en abîme légères et quelques touches humoristiques. Ainsi, à de rares instants, l'œuvre se déleste de son poids, cela lorsque les personnages "fictionnalisent", imaginent ce qui peut se passer en d'autres lieux ou ce qui pourrait advenir dans le futur, bref, s'abandonnent à créer eux-mêmes du récit au lieu de se cantonner à une réflexion stérile sur leur art et sur leur rapport aux autres. L'humour, quant à lui, est essentiellement amené par Louis Garrel, seule personnalité du groupe à dégager un peu de vérité comportementale et de légèreté intellectuelle. C'est à cet acteur que l'on doit les rares scènes quelque peu appréciables d'un film plombé.

  • La croisière du Navigator

    (Donald Crisp et Buster Keaton / Etats-Unis / 1924)

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    Le riche et oisif Rollo Treadway quitte son domicile pour être conduit en voiture chez sa fiancée Betsy O'Brien qui habite... de l'autre côté de la rue. Un plan large englobant les deux rangées de maisons se faisant face souligne le gag génial. Il impose aussi une symétrie parfaite. Le but de la visite était une demande en mariage, sans préavis, motivée par une envie subite, elle-même provoquée par la simple vision par la fenêtre d'un couple (noir) d'heureux jeunes mariés. "Certainement pas" est-il répondu de manière peu aimable à Rollo. Pimbêche la Betsy ? Notre première impression n'est pas la bonne. L'image montrant les deux bâtisses en vis-à-vis ne mentait pas : non seulement Betsy est socialement l'égal de Rollo, mais le personnage féminin est cinématographiquement l'égal du personnage masculin. Rollo après sa demande effectuée n'importe comment n'a finalement reçu que la réponse qu'il méritait. Cela, nous allons le réaliser progressivement.

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    Kathryn McGuire n'est pas l'actrice à la beauté la plus sidérante, ni la plus stupéfiante des acrobates. Il n'empêche qu'elle accompagne impeccablement son extraordinaire partenaire et que leur duo fait de La croisière du Navigator (The Navigator) un magnifique film de couple. Leur relation obéit d'abord au jeu de l'attraction-répulsion. Les distances entre les deux s'étirent et se compriment comme sous l'effet d'un élastique invisible. A peine est-il entré dans le salon que l'homme est renvoyé chez lui. Une fois embarqué, se croyant jusque là seul sur ce bateau à la dérive, chacun des deux, de son côté, sent la présence d'un autre mais ne parvient pas à l'atteindre, tournant en rond sur les différents niveaux du navire. Et l'élastique pète dans les doigts : Keaton tombe litéralement sur McGuire. Surprise, reconnaissance, contentement mêlé de gêne... Il faut reprendre ses esprits, faire à manger chacun de son côté, s'attabler face-à-face puis rejoindre sa cabine. Mais dès lors, l'inéluctable mouvement des cœurs va suivre celui des corps et l'on ne comptera plus les plans où ceux-ci seront réunis, côte-à-côte, l'un derrière l'autre, l'un contre l'autre, et même, l'un sur l'autre.

    L'amour naît dans l'épreuve. Plus précisemment : l'amour naît de ce que celle-ci fait subir au corps. Les éléments les propulsent l'un vers l'autre, les forcent à entrer sans cesse en contact, à s'agripper, à se soutenir. Étrangement (et délicieusement), ces forces naturelles ou pas, les érotisent. Le burlesque a inventé une manière de jouir de visions érotiques en toute innocence : corps trempés par les chutes dans l'océan ou par les orages, corps évanouis que l'on empoigne et que l'on fait bouger dans tous les sens, corps prenant, sous le prétexte du gag visuel, des positions on ne peut plus équivoques (pour échapper aux cannibales, Kathryn McGuire rame assise sur le bas ventre de Keaton qui flotte sur le dos dans sa tenue de scaphandrier !).

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    L'aventure laisse les héros pantelants et le spectateur dans le même état. Quel rythme, quelle incroyable constance comique ! Voyez la séquence des fantômes, quel enchaînement elle donne à voir : un portrait pris pour un spectre, une sortie de cabine affolée sous un drap de lit qui effraie aussitôt à son tour, un balai pris dans la figure, des explosifs, une série de portes qui claquent, un gramophone qui se met en route tout seul... Combien de gags en si peu de temps ? Et combien de lieux traversés, dans une embardée pourtant toujours lisible, selon des trajectoires toujours cohérentes et avec une durée de plan toujours adéquate (à peine quelques secondes pour celui du coup de balai et beaucoup plus pour celui des portes des cabines s'ouvrant et se refermant dans le dos de Buster).

    Mon lointain souvenir me laissait penser que La croisière du Navigator se situait un cran en-dessous de Sherlock Jr. (où l'on retrouve Kathryn McGuire), de Cadet d'eau douce, du Mécano de la General ou du Cameraman. Il n'en est rien. Comme Betsy se tient aux côtés de Rollo, le film a sa place parmi les chefs-d'œuvres keatoniens. Il se termine sur un (presque) dernier gag (la remontée des amants alors qu'ils ont semblé couler) d'autant plus imparable que rien ne le laissait présager et il donne tout loisir de piocher parmi mille détails scintillants. Personnellement, je me garde celui-ci : l'expression qu'à Keaton lorsqu'en bas de l'échelle, contre la coque du bateau, dans une profondeur accentuée par la plongée de la caméra, il voit McGuire tomber dans les pommes alors que, épuisé et trempé jusqu'aux os, il pensait qu'ils allaient pouvoir s'entraider pour remonter. A ce moment là, on l'entend vraiment dire "Hey !".

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    Film (re)vu à l'occasion du Festival de cinéma jeune public Les Toiles Filantes, au milieu d'une assistance de gamins écroulés de rire toutes les dix secondes, projection qui requinquerait le plus alarmiste des cinéphiles.

     

    Photos : Filminamerica, Allociné & Enfants-de-cinéma

  • 10 films d'animation

    Excellente idée que de proposer un top 10 des meilleurs films d'animation. Nous la devons à Alexandre Mathis, via son blog Plan-c.

    Si je fus, à une époque, très friand de ce genre, je m'en suis par la suite quelque peu éloigné, délaissant les programmes de courts-métrages comme la plupart des longs à succès (je suis ainsi passé, entre autres, à côté de Persepolis, de Renaissance, de nombreux Pixar et même de certains Miyazaki). La variété des techniques, des styles et des durées, d'une part, et le fait que je n'ai vu, sauf exception, les titres qui vont suivre qu'une seule fois (et il y a quinze ou vingt ans de cela pour certains), d'autre part, me poussent à ne pas les classer autrement que par ordre chronologique. Pour les mêmes raisons, je ne m'avancerai pas à dire qu'il s'agit pour moi des dix meilleurs films d'animation sur la masse que j'ai pu voir, mais plutôt de ceux qui m'ont le plus marqué - en ne choisissant qu'un titre par réalisateur et en me mordant déjà les doigts d'avoir écarté les noms de Lotte Reiniger, Norman McLaren, Ralph Bakshi, Chuck Jones, Jan Svankmajer, Garri Bardine, Bill Plympton, Michaël Dudok De Wit, Sylvain Chomet, Jacques-Rémy Girerd, Peter Lord...

    *****

    Le roman de Renard (Ladislas Starevitch, 1930)

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    Northwest Hounded Police (Tex Avery, 1946)

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    Yellow submarine (George Dunning, 1968)

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    La planète sauvage (René Laloux, 1973)

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    Le Roi et l'oiseau (Paul Grimault, 1980)

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    Le tombeau des lucioles (Isao Takahata, 1988)

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    L'étrange Noël de Monsieur Jack (Henry Selick, 1993)

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    The wrong trousers (Nick Park, 1993)

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    Princesse Mononoké (Hayao Miyazaki, 1997)

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    Jin-Roh, la brigade des loups (Hiroyuki Okiura, 1998)

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  • Finis Terrae

    (Jean Epstein / France / 1929)

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    FiniTerrae.jpgBeau mais assez déroutant.

    L'histoire contée dans Finis Terrae est particulièrement simple. Quatre pêcheurs basés à Ouessant passent l'été à travailler sur l'île inhabitée de Bannec. Les deux plus jeunes, Ambroise et Jean-Marie, en viennent à se disputer. Le premier s'étant blessé à la main avec un bout de verre, il ne peut plus participer aux travaux et s'éloigne de ses camarades. Fiévreux, incapable de quitter seul la petite île, il est enfin pris en charge par Jean-Marie. Dans le même temps, le docteur officiant à Ouessant, alerté par les mères des deux jeunes hommes après qu'elles aient perçu d'inquiétants signes, prend la mer avec sa trousse de soins.

    Étrange sensation que d'assister à un spectacle à la fois très réaliste et très pictural. En effet, d'une part Jean Epstein tourne sur les lieux mêmes de l'action, fait appel à la population locale pour tous les rôles, filme avec précision le travail et place de nombreux cartons pédagogiques, et d'autre part, compose avec un soin extrême le moindre de ses plans, use d'étonnants ralentis sur des visages et insère dans le cours des séquences de brefs plans de nature à forte résonance symbolique. Le courant documentaire et le courant expérimental ont chacun leur intérêt mais avouons que les deux nous ont paru avoir du mal à converger.

    Les ruptures symboliques font que l'enchaînement des plans peine parfois à libérer une véritable dynamique et que le réel n'a pas trop le temps de déployer ses plis. Malgré qu'elle soit basée aussi sur un phénomène de répétition (la reprise inlassable des plans de rivages soumis à la force des vagues), la beauté plastique du film est toutefois indéniable, sidérante à certains endroits. Les acteurs ont le statut de figures, de modèles hyper-expressifs (jusqu'à abuser de certaines réactions, postures ou gestes, comme celui de menacer l'autre du poing, dans ce récit donnant la part belle aux conflits entre les individus). Mise à distance (involontairement) par le soin apporté à l'image et par la recherche d'un langage cinématographique particulier, l'émotion finit par affleurer dans les toutes dernières séquences, lorsqu'il n'y a finalement plus d'enjeu dramatique et qu'il ne reste plus qu'à observer silencieusement les hommes terrassés par la fatigue de l'épreuve.

  • Le village

    (M. Night Shyamalan / Etats-Unis / 2004)

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    levillage.jpgC'est l'histoire d'une communauté qui, ayant décidé des années auparavant de se retirer du monde, s'aperçoit que la violence et la pulsion de mort peuvent tout aussi bien naître dans un milieu surprotégé et donc que l'innocence de l'être humain est une chimère. Etrangement, cette brutale révélation ne provoquera en son sein aucune remise en cause.

    Dans ce mortel Village (The village), Shyamalan capitalise sur sa réputation de petit maître de l'épouvante et s'acharne à inquiéter à partir de rien en usant des procédés habituels, des brusques recadrages au refus du contrechamp immédiat en passant par un mixage anxiogène. Pour des raisons d'efficacité, le point de vue adopté est celui des victimes. Doutant très tôt de la réalité du danger décrit, le spectateur pourrait au moins être amené à supposer que la perception qu'ont les personnages de ces silhouettes et de ces bruits est amplifiée inconsciemment par ceux-ci. Mais non, cette "subjectivation" n'est jamais vraiment assumée et la mise en scène n'assène ses effets sonores et visuels que dans le but de saisir.

    Ce récit amorphe ne peut de toute façon aucunement prétendre à l'angoisse, pas plus que l'œuvre ne peut être définie comme autre chose qu'un "petit film d'horreur". Entre les rares moments de tension se déroule en effet une chronique d'un ennui insondable. Les villageois les plus jeunes, personnages prenant en charge la mise en route de la fiction, paraissent extrêmement limités mais n'en expriment pas moins de complexes émotions. Avec un tel décalage, le ridicule est assuré. L'interprétation est d'une médiocrité confortable (la palme est à partager entre Adrien Brody en idiot du village et Joaquin Phoenix en jeune homme ombrageux et préoccupé). L'esthétique est d'une belle clarté télévisuelle. L'académisme pétrifie chaque plan.

    De la même manière qu'il joue des couleurs (jaune contre rouge), c'est-à-dire avec une subtilité kolossale, Shyamalan charge une aveugle de dessiller les yeux de ses congénères qui refusent de voir. Regarder cette jeune femme arpenter le village avec une aisance confondante malgré son handicap nous laisse envieux car nous nous rendons compte qu'elle au moins connaît parfaitement le terrain alors que, de notre côté, nous ne pouvons que nous affliger devant l'incapacité totale du cinéaste à établir une topographie précise au sein d'une œuvre se fondant pourtant sur l'idée de territoire. Je défie quiconque de recomposer mentalement la géographie de ce village après la vision du film...

    Ah ça, pour faire des plongées entre quatre arbres de dix mètres de haut sous la pluie, pour aligner parfaitement trois profils dans la perspective, pour ponctuer une séquence romantique d'un panoramique sur une chaise vide et de quelques notes de piano, Shyamalan, c'est pas le dernier... Mais dès qu'il s'agit de travailler la notion d'espace et de bâtir un récit qui tienne la route, y'a plus personne...

  • Cahiers du Cinéma vs Postif (1984)

    Suite du flashback.

     

    cdc359.jpgPOS276.JPG1984 : La consultation des couvertures et des sommaires de l'année permet de découvrir une nouvelle fois de nombreux points de convergence entre les deux revues rivales. A l'occasion des sorties de leurs films respectifs, Maurice Pialat, Philip Kaufman, Francis Ford Coppola (Rusty James), Sergio Leone, Wim Wenders, Jerzy Skolimowski, Milos Forman, Michael Radford se voient gratifiés de chaque côté d'un entretien et/ou d'une étude en bonne place.
    Les Cahiers publient les propos de Georges Rouquier (Biquefarre), de Jacques Doillon (La Pirate), de Michel Serrault, de James Stewart, de Jane Birkin, de Catherine Deneuve et du directeur de la photographie Giuseppe Rottuno. Charles Tesson écrit sur Sacha Guitry, Pascal Bonitzer sur Frank Capra. A la fin de l'année, sont publiés plusieurs papiers relatant les tournages des films de Paul Schrader, Jacques Rivette, Eric Rohmer, Jean-Marie Straub, Youssef Chahine, Claude Chabrol et Jean-Luc Godard. Enfin, on note une rencontre Garrel-Carax.
    Pendant ce temps, Positif fait le point sur le cinéma britannique contemporain, rend hommage à Robert Aldrich et George Cukor, organise une nouvelle "Semaine" (présentant, entre autres films inédits, Angelo, my love de Robert Duvall et Le Sud de Victor Erice), concocte un dossier Fellini (Et vogue le navire) et des ensembles sur Preston Sturges, Alfred Hitchcock, Douglas Sirk et Fritz Lang. Hubert Niogret présente Mikio Naruse, Robert Benayoun s'entretient avec Woody Allen (à propos de Broadway Danny Rose), Vincent Amiel s'intéresse aux vidéo-clips. La revue publie un long échange entre Marcel Ophuls et Jack Lang, alors ministre de la culture. Au-dessous du volcan de John Huston, Nostlaghia d'Andreï Tarkovski et Maria's lovers d'Andreï Konchalovsky font également partie des films défendus.

    Janvier : A nos amours (Maurice Pialat) & Prénom Carmen (Jean-Luc Godard) (Cahiers du Cinéma n°355) /vs/ Nuages flottants (Mikio Naruse, Positif n°275)

    Février : Fenêtre sur cour (Alfred Hitchcock, C356) /vs/ Meurtre dans un jardin anglais (Peter Greenaway, P276)

    Mars : A mort l'arbitre ! (Jean-Pierre Mocky, C357) /vs/ Polar (Jacques Bral, P277)

    Avril : L'étoffe des héros (Philip Kaufman, C358) /vs/ Carmen (Francesco Rosi, P278)

    Mai : Il était une fois en Amérique (Sergio Leone, C359) /vs/ Un dimanche à la campagne (Bertrand Tavernier, P279)

    Juin : Paris, Texas (Wim Wenders, C360-361) /vs/ Under fire (Roger Spottiswoode, P280)

    Eté : --- /vs/ Le succès à tout prix (Jerzy Skolimowski, P281-282)

    Septembre : "Made in Hong-Kong" (Zu : les guerriers de la montagne magique, Tsui Hark, C362-363) /vs/ Paris, Texas (Wim Wenders, P283)

    Octobre : Les nuits de la pleine lune (Eric Rohmer, C364, ) /vs/ L'amour à mort (Alain Resnais, P284)

    Novembre : Amadeus (Milos Forman, C365) /vs/ Amadeus (Milos Forman, P285)

    Décembre : Stranger than Paradise (Jim Jarmusch, C366) /vs/ 1984 (Michael Radford, P286, )

     

    cdc366.jpgPOS285.JPGQuitte à choisir : Forman et Wenders font logiquement le doublé et l'équilibre se fait entre Naruse et Hitchcock, Pialat et Bral, Jarmusch et Greenaway, Rohmer et Resnais, Kaufman et Radford. Pour moi, s'équilibrent aussi, en milieu de tableau le Mocky et le Tavernier, et en bas de l'échelle, le Tsui Hark et le Rosi. Même Godard et Skolimowski pourraient être mis en vis-à-vis (je ne connais ni l'un ni l'autre de leurs titres de l'année). Alors quoi, match nul ? Non, car Positif a commis en juin l'impardonnable faute de goût de mettre en couverture l'estimable Under fire à la place du chef d'œuvre de Leone. Allez, pour 1984 : Avantage Cahiers.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Baby Cart 1 & 2

    Baby Cart : Le sabre de la vengeance (Kozure Okami : Ko wo kashi ude kashi tsukamatsuru) (Kenji Misumi / Japon / 1972) ■□□□

    Baby Cart : L'enfant massacre (Kozure Okami : Sanzu no kawa no ubaguruma) (Kenji Misumi / Japon / 1972) ■□□□

    babycart.jpgBon, je n'aime pas beaucoup ça...

    Le premier volet de la série, afin de poser les bases, est laborieusement charcuté pour intégrer le long flash-back nous éclairant sur ce qui a poussé le grand samouraï Ogami Itto à devenir un mercenaire errant avec son enfant en landau. Ainsi, le récit principal, réduit à la portion congrue, n'avance jamais et le mot "fin" arrive en laissant un goût d'inachevé. Est-ce pour mieux façonner les caractères et déployer une narration plus ample par la suite ? Absolument pas. Le deuxième film reprend le schéma qui sera, semble-t-il, reproduit dans toute la série : le héros monnaye ses talents de bretteur à travers le pays pour quelque mission dangereuse alors que, dans le même temps, des hommes de main au service du clan qui veut sa mort s'acharnent sur lui.

    Ici, tout est au-delà de la caricature, jusqu'au ridicule pour ce qui est des personnages. Comment deviner l'issue d'un affrontement ? Celui qui grimace sans cesse est le méchant, il finira coupé en deux. Celui qui reste impassible est le bon, il s'en sortira en un éclair. Trouvant leur origine dans un célèbre manga, les films illustrent des cases sans aucun souci de progression dramatique. L'effet le plus désagréable est ressenti lors de la séquence interminable et effectivement cartoonesque des traquenards successifs tendus au samouraï, le long d'un seul chemin, par un groupe de ninjas féminins.

    Misumi pousse ainsi le film de sabre vers la parodie, tout en se prenant très au sérieux et c'est, je pense, cette position intenable qui me dérange. Rions avec les connaisseurs qui se repaissent du second degré et laissons les spectateurs basiques se satisfaire du premier... Le recours au gore se fait dans le même état d'esprit : en fonction du public, l'hyper-violence peut rebuter ou faire rire. Il est toujours possible de laisser flotter cette incertitude, mais au moins, celle-ci doit déboucher sur une réflexion, être intégrée au discours produit par le film, ce qui n'est pas le cas ici. De la même façon, Misumi expérimente constamment dans les cadrages, le rythme, la lumière et la bande-son mais se moque-t-il du cinéma moderne ou veut-il en faire partie ?

    Forcément, au milieu de ce feu d'artifice aussi vain que désordonné, il est arrivé qu'une idée, une composition, plus rarement une scène entière (celle du combat autour du puits dans le deuxième épisode, par exemple), me plaisent. Mais je ne peux guère m'intéresser à ce type d'ouvrage exclusivement pensé en termes de "trucs" de mise en scène ou de scénario.

    Arte a diffusé ces jours-ci les six épisodes de la série. Epuisé au bout du deuxième, j'ai déclaré forfait pour le reste...

  • Lazybones

    (Frank Borzage / Etats-Unis / 1925)

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    lazybones.jpgLazybones, "le paresseux", est un jeune homme vivant avec sa mère dans une petite bourgade des Etats-Unis. Il est surnommé ainsi notamment par les voisins plus aisés, qui ne voient en lui qu'un bon à rien. Suite à un concours de circonstances, notre homme vient à adopter un bébé, celui que lui a confié, déséspérée, Ruth, la sœur de sa propre petite amie, Agnes. Il élève donc Kit, cette petite fille, tout en gardant le secret de ses origines et acceptant par conséquent de voir Agnes s'éloigner de lui. Les années passent, jusqu'à ce qu'il parte à la guerre en 1917 et en revienne pour se retrouver face à Kit, devenue une belle jeune femme.

    L'introduction du récit et quelques gags récurrents entraînent vers la comédie, le scénario tient plutôt du mélodrame, la géographie et l'humeur sont celles de la chronique rurale, l'ensemble est une petite merveille d'équilibre, tantôt souriante, tantôt bouleversante.

    L'art de Borzage peut déjà s'apprécier à travers le traitement du personnage de Lazybones. Puisque tous, à l'exception de sa mère, le prennent pour un fainéant, nous nous attendons, selon la convention, à ce qu'un coup d'éclat démontre le contraire à l'ensemble de la population. Or, au lieu d'opérer un retournement mécanique du point de vue, Borzage reste dans la continuité, laissant Lazybones garder son attitude de retrait tout en faisant sentir que celle-ci n'a rien de contradictoire avec le maintien d'une droiture et d'une détermination morales. Ainsi, le sauvetage de Ruth emportée par les eaux se fait sans témoins et l'acte héroïque effectué sur le front résulte d'un petit accident. Si l'homme est jugé avec condescendance par ses concitoyens, le spectateur, lui, accepte entièrement sa manière d'être.

    Ce film solaire (seules la scène de guerre et celle du bal, lors de laquelle se brise le dernier espoir de Lazybones, se déroulent de nuit) est d'une simplicité d'exécution confondante. Le jeu des comédiens est d'une justesse constante (une habitude chez Borzage), prolongé qu'il est par de multiples détails. A son retour, non annoncé, du front, Lazybones prend tout son temps pour traverser son petit jardin et franchir le seuil de sa maison afin de retrouver sa mère et sa fille adoptive. Cette suspension permet de laisser passer une vibration, une émotion qui se mêle à un effet de vérité, et dans le même temps, elle consolide encore le récit en jouant sur la "lenteur" reprochée au héros et en apportant une nouvelle variation au gag du portail, ici enfin réparé.

    Il y a ainsi derrière l'apparente simplicité de la mise en scène de Borzage, tant de choses qui résonnent... On peut citer encore, à ce titre, la dernière séquence du film qui nous montre un Lazybones vieillissant s'adonner une nouvelle fois à son loisir préféré, la pêche. Un clin d'œil est adressé au spectateur puisque le héros finit par tomber comiquement à l'eau mais la scène provoque également une émotion délicate par le retour à l'exact endroit (cadré de manière identique) où l'événement déclencheur du drame s'était réalisé, des années plus tôt. Là où l'on pouvait s'attendre à un certain dénouement, les retrouvailles tardives de Lazybones et d'Agnes, cette fin reste ouverte.

    Entre-temps, se seront écoulés plus de vingt ans. Si les transitions entre les différentes phases du récit sont remarquables, le passage du temps sur les personnages ne se fait pas de façon totalement homogène, certains paraissant parfois trop vieux ou trop jeunes. Autre petite faiblesse, la dernière partie du film prend un étrange tour incestueux, avec des réactions plus prévisibles. Ces menues réserves sont cependant loin de porter ombrage au reste, à l'interprétation magnifique de Buck Jones ou de Zasu Pitts (quelle expressivité chez cette dernière !), au dosage parfait élaboré par le cinéaste entre l'humour et le sublime (de nombreuses séquences sont réellement déchirantes, sans jamais en rajouter dans le pathos et Lazybones, en consolant sa fille adoptive trouve les mots qui résument tout : "La mort, c'est simple... les gens sont fatigués... ils sont juste rappelés").

    Lazybones est un très beau Borzage (ce qui a tout l'air d'être un pléonasme, que l'on se place n'importe où dans la période 1925-1940 du cinéaste).

  • Country teacher

    (Bohdan Slama / République Tchèque - France - Allemagne / 2008)

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    country1.jpgBohdan Slama semble avoir retrouvé, en partie, le secret du cinéma tchèque (ou tchécoslovaque) des années soixante (à moins que celui-ci n'ait jamais été perdu, mais de cela il est bien difficile de juger, compte tenu de la distribution en France pour le moins limitée des œuvres de cette contrée). Country teacher (Venkovsky ucitel), troisième long-métrage du cinéaste, possède ainsi un charme qui renvoie aux sensations éprouvées devant les films de Forman, Passer, Menzel ou Jires. Ce charme provient de la douceur de la lumière naturelle, de l'approche sensible des êtres humains, de l'étude souriante des qualités et des défauts des diverses populations, du goût pour la musique, l'alcool et les fêtes improvisées jusqu'au petit matin. En faisant de son héros un professeur d'école ayant quitté Prague pour s'installer à la campagne, Bohdan Slama semble tout d'abord nous proposer une chronique de village, l'observation d'un milieu particulier à travers les yeux d'un personnage déplacé, en retrait, entre bienveillance et tristesse.

    Slama opère discrètement, tournant autour des comédiens lors de plans-séquences enveloppants. Sans ostentation, la caméra glisse, parfaitement calée sur le rythme des dialogues et des gestes et c'est comme par hasard si le cadre dévoile à certains moments des perspectives inattendues. Ces ouvertures sur le paysage arrivent sans effort visible, dans la continuité de ce qui est donné à voir au premier plan. La rareté de la musique, laissant la place aux bruits de la campagne, accentue l'impression de calme. Progressivement, cependant, l'accompagnement musical va se faire plus important, entraînant dans son sillage une gravité certaine.

    Une conversation entre le directeur de l'établissement et le professeur laissait sous-entendre que le choix de mutation de ce dernier pouvait être dû à une raison peu avouable. Mais de secret, il n'y en a plus  au bout d'une demie-heure. Bohdan Slama place en effet, en cet endroit assez étrange du point de vue narratif, une séquence familiale explicative. La légèreté de ton employé jusque là se trouve alors quelque peu encombrée par plusieurs dialogues appuyés. Le film en son entier se voit soudain lesté de psychologie et va dès lors constamment flirter avec le danger d'être aspiré par son sujet puisque tout s'articule, à partir de là, autour du problème de mœurs qui nous a été dévoilé.

    A la liberté narrative que l'on nous a fait miroiter, à une certaine suspension de la marche du temps et des événements, se substitue donc une trame déroulée de manière un peu trop volontariste. Certes, nous restons le plus souvent dans l'énonciation à demi-mots mais le "vouloir dire" du cinéaste transparaît trop aisément. Son sujet a tendance à faire écran et le symbolisme des derniers plans, bien que véhiculé avec une retenue stylistique appréciable, lasse au lieu de transporter. Trop évident apparaît ainsi l'écho formulé en reprenant à la fin l'une des séquences introductives. Le professeur avait, devant ses élèves, élaboré une réflexion à partir d'une coquille d'escargot, une coquille vide, à l'image de sa vie sociale et affective. Passées bien des épreuves, il leur présentera plus tard la même chose mais en insistant cette fois-ci sur la merveilleuse capacité qu'à la nature à créer des êtres toujours absolument différents les uns des autres.

    Cet acceptation de soi et des autres passe par un enchaînement bien connu : faute, culpabilité, expiation, pardon. Le lourd débat de société n'est pas très loin, qui pourrait s'appuyer sur cette description d'une conduite particulière débouchant sur un dilemme moral. Finalement, c'est surtout cela qui fait de cet estimable Country teacher un film d'aujourd'hui et non de 1965.

     

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  • Désirs d'avenir

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    Un événement, d'un genre heureux, a provoqué la suspension de l'animation de ce blog ces derniers jours. Veuillez bien, chers lecteurs, m'en excuser et sachez que la reprise de l'activité est prévue prochainement.

    Si l'impasse a été faite sur certaines projections, plus ou moins prometteuses, comme Tatarak, Soul kitchen ou Alice au pays des merveilles, je peux d'ores et déjà vous annoncer qu'il sera question, dès mon retour aux affaires, de cinéma tchèque contemporain, d'une perle muette et borzagienne, de films de sabres plutôt barrés, de la guerre des revues en l'An 1984 après J.C. et de bien d'autres choses. Je profite également de cette occasion pour vous assurez que le père Delauche et moi-même ne désespérons pas de vous proposer un jour la suite de notre chantier sur "Les Cahiers Positif(s)" (disons avant l'avènement du Web 3.0...).