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  • Bronson

    (Nicolas Winding Refn / Grande-Bretagne / 2009)

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    bronson.jpgRetraçant l'histoire du "prisonnier le plus dangereux d'Angleterre", "ce film est basé sur des événements réels". Bien avant le terme des quatre-vingt dix minutes, on se dit pourtant que non seulement Nicolas Winding Refn a pris un malin plaisir à bousculer les règles du biopic traditionnel, mais qu'il a surtout réussi à éviscérer le genre, à le vider littéralement de sa morale, de son idéologie, de ses visées édifiantes. Le cinéaste danois n'est bien évidemment pas le premier à jouer au déconstructeur de biographie. En revanche, l'ironie féroce avec laquelle il recouvre le passage obligé des souvenirs d'enfance et d'adolescence démontre bien le peu de cas qu'il fait de la recherche d'un éclairage psychologique sur son héros. De plus, le véritable Michael Peterson, alias Bronson, est devenu une personnalité reconnue exposant ses œuvres dans les musées internationaux. Or, la dernière partie du film substitue à la découverte salvatrice et apaisante de l'art plastique un happening violent et absurde.

    Pas d'étude psychologique donc, mais une approche kaléidoscopique d'un personnage en constante représentation. Ce Bronson-là, en nous relatant ses exploits, ne cesse de se mettre en scène et de se (la) raconter. Il mène le récit sur le ton de la confidence en témoignant sur un fond noir ou sur celui, échevelé, du showman virtuose sur une scène de théâtre imaginaire. L'illustration de sa première incarcération dans laquelle nous le voyons pleurer est aussitôt raccordée avec un éclat de rire tonitruant et une vigoureuse apostrophe : "Vous y avez cru, hein ?". Nous sommes bien dans un espace mental, là où aucun récit n'a plus de réalité qu'un autre.

    L'acteur Tom Hardy se plonge corps et âme dans son rôle et semble changer constamment de visage, par les masques qu'il arbore (maquillage du maître de cérémonie, corps nu du prisonnier enduit de graisse ou de peinture, lunettes de soleil de l'artiste), par sa capacité stupéfiante à passer en un clin d'œil d'une expression à une autre, par la création de postures très différentes (lourde démarche en canard à l'extérieur, explosivité incontrôlable en prison, fluidité gestuelle sur scène...), par la diversité des jeux de lumière et des cadrages qu'impose le metteur en scène. Bronson est insaisissable, se soustrayant à notre emprise comme à celle des matons venant de temps à autre le tabasser. Bien plus instinctif qu'intelligent, lorsqu'il réalise une prise d'otage, il ne parvient à formuler aucune revendication, ne sachant que faire ou qui devenir sinon le prisonnier le plus célèbre du pays. Tout flamboyant qu'il est, il ne peut que tourner en rond dans sa prison.

    Ne cherchons pas dans Bronson le moindre message, le monde carcéral étant essentiellement décrit sous le mode du trip hallucinatoire. On peut y voir une limite du film, mais aussi profiter pleinement d'un show brillantissime évacuant avec panache toute question morale. Ceux qui ont déjà fréquenté le cinéma de Nicolas Winding Refn à l'occasion de son épatante trilogie des Pusher (1996, 2004 et 2005) savent que celui-ci est capable de donner d'impressionnants coups à l'estomac du spectateur. Malgré son sujet, Bronson n'est toutefois ni scandaleux ni spécialement dérangeant, bâti qu'il est sur de multiples ruptures de tons et de rythme - Winding Refn, et c'est l'une des ses forces, ayant la capacité de rendre certains moments de calme plus inquiétants et plus déséquilibrés qu'un déchaînement de violence.

    L'ultra-violence est passée à la moulinette de la distanciation par l'impact visuel d'une mise en scène hyper-expressive et par l'assemblage, pour la bande-son, d'un mélange musical jouissif allant de la pop synthétique des Pet Shop Boys et de New Order aux partitions de Wagner et de Verdi. Par cet exercice de jonglage sonore, par l'omniprésence de la voix-off, par l'alternance entre des plans courts et d'autres beaucoup plus longs, par l'usage régulier de travellings si majestueux qu'ils en deviennent ironiques quant à la sublimation qu'ils donnent à voir, Bronson ne se cache pas longtemps d'être un hommage à Orange mécanique (l'image a été confiée à Larry Smith, responsable de celle d'Eyes wide shut). Michael Peterson se rêvait en Charles Bronson et Nicolas Winding Refn l'a filmé comme Kubrick. C'est encore mieux, non ?

    (Chronique dvd pour Kinok)

  • Les meilleurs films de l'année... 1984

    Nous sommes à peine à la mi-décembre et les listes des meilleurs films de l'année commencent déjà à apparaître sur la blogosphère, se doublant cette fois-ci de celles des meilleurs films de la décennie. Télérama, de son côté, campe sur son absurde position lorsqu'il s'agit de poser la question du bilan annuel à ses lecteurs : désireux de publier les résultats au moment des fêtes, l'hebdomadaire, coincé par les délais de bouclage, impose de choisir seulement parmi les titres sortis avant le mois de décembre (voire plus avant, certains spectateurs n'ayant pas encore eu le temps ou la possibilité de voir par chez eux les films d'octobre ou de novembre). Plus gênant encore, s'il vous vient à l'esprit d'économiser un timbre et de voter sur leur site internet, vous tomber sur une liste d'une centaine de titres mais "fermée" (ce qui me ferait personnellement écarter l'un de mes quatre ou cinq favoris). Bref, si vous désirez prendre connaissance prochainement de la liste finale des lecteurs de Télérama, que ce soit pour vous informer ou pour en rire, il faut que vous sachiez qu'elle est complètement biaisée.

    Pour ne pas me départir de ma rigueur habituelle (et ayant encore deux ou trois films prometteurs à découvrir d'ici le 31), je ne publierai mes deux "tops", l'annuel et le décennal, que dans les derniers jours de décembre, voire les premiers de janvier (notez que, pour les œuvres de la décennie, vous pouvez envoyer votre liste, avant le 25 de ce mois, à la revue Positif qui établira un bilan dans l'un de ses prochains numéros).

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    Histoire de patienter, je vous propose une liste qui a beaucoup moins de chances d'être amendée dans les jours qui viennent. M'appuyant sur ma chronique mensuelle "C'était mieux avant..." et comme je l'avais déjà fait l'an dernier à la même époque pour les films de 1983, j'énonce ci-dessous...

    ...mes dix films préférés de 1984 :

    meurtredansunjardin.jpg

    1- Meurtre dans un jardin anglais (Peter Greenaway)

    2- Il était une fois en Amérique (Sergio Leone)

    3- Paris,Texas (Wim Wenders)

    4- Et vogue le navire (Federico Fellini)

    5- Amadeus (Milos Forman)

    6- L'étoffe des héros (Philip Kaufman)

    7- L'amour à mort (Alain Resnais)

    8- Les nuits de la pleine lune (Eric Rohmer)

    9- S.O.B. (Blake Edwards)

    10- Rusty James (Francis Ford Coppola)

    rustyjames.jpg

    J'invite bien évidemment chacun de mes lecteurs à dresser sa liste personnelle et à la déposer en commentaires de cette note ou sur son blog éventuel. Pour éviter les recherches trop fastidieuses, je vous rappelle les principales sorties de cette cuvée 84 (pour l'exhaustivité, je vous renvoie, sous le nom de chaque mois, à la note correspondante) :

    Janvier : Retenez-moi ou je fais un malheur, La nuit des juges, Rue Barbare, Ronde de nuit, Canicule, Le Choix des seigneurs, L'éducation de Rita, 2019 après la chute de New York, Le bon plaisir, La foire des ténèbres, Le jour d'après, Christine, Prénom Carmen, Et vogue le navire.

    Février : Rusty James, Meurtre dans un jardin anglais, A mort l'arbitre !, La ville des pirates, S.O.B., Brainstorm, La quatrième dimension, Krull, L'ascenseur, Un amour de Swann, Star 80, Gorky Park, La femme flambée, To be or not to be, Tricheurs, Le garde du corps, Gwendoline, Mesrine.

    Mars : Risky business, Les copains d'abord, Daniel, Le crime de Cuenca, Femmes de personne, Sans témoin, Les Morfalous, Le Temps suspendu, Permanent vacation, Local hero, Carmen, Dead zone, Scarface, Polar.

    Avril : L'étoffe des héros, L'addition, Les fauves, Osterman Weekend, Retour vers l'enfer, Un dimanche à la campagne, Streamers, Biquefarre, L'habilleur, L'affrontement, Le temps de la revanche, Guerres froides, L'ange, Un homme parmi les loups, Cent jours à Palerme, Vent de sable, La diagonale du fou, Les voleurs de la nuit, Tendres passions, Yentl, Viva la vie !.

    Mai : Footloose, Il était une fois en Amérique, Contre toute attente, Videodrome, Notre histoire, La femme publique, La pirate, La forteresse noire, Céleste, Le succès à tous prix, Le sang des autres, Fort Saganne, L'homme aux fleurs.

    Juin : Under fire, Mississippi blues, Pinot simple flic, La clé, Mes chers amis N°2, Quartetto Basileus, Reckless, Looker, Le mystère Silkwood, Les moissons du printemps, Paris vu par... 20 ans après, Bonjour les vacances, Le Bounty.

    Juillet-Août : A la poursuite du diamant vert, Xtro, Les années déclic, L'homme à femmes, New York, deux heures du matin, Frankenstein 90, La smala, Bon Roi Dagobert, Le retour de l'inspecteur Harry, Les nuits de la pleine lune.

    SeptembreParis, Texas, L'amour à mort, Au-dessous du volcan, Le futur est femme, Hotel New Hampshire, Top secret !, Indiana Jones et le temple maudit, Les Ripoux, Le meilleur, Le moment de vérité, Besoin d'amour, La fille en rouge, C'est la faute à Rio, Le Tartuffe, Journal intime, Jazz band, La garce.

    Octobre : Joyeuses Pâques, Le jumeau, La tête dans le sac, Marche à l'ombre, The hit, Rive droite, rive gauche, Greystoke, la légende de Tarzan, seigneur des singes, Splash, Supergirl, Les nuages américains, Cinématon, Le montreur d'ours, Broadway Danny Rose, Amadeus, Maria's lovers, Les yeux la bouche, Baara, L'amour par terre, Amerika/Rapports de classe, Liberté, la nuit.

    Novembre : L'année des méduses, Les rues de feu, L'histoire sans fin, La vengeance du serpent à plumes, L'arbalète, Quilombo, Reuben, Reuben, ou la vie d'artiste, Cal, 1984, Boy meets girl.

    Décembre : Gremlins, S.O.S. Fantômes, Paroles et musique, La septième cible, Réveillon chez Bob, Le matelot 512, Le pays où rêvent les fourmis vertes, Bayan Ko.

  • Capitalism : a love story

    (Michael Moore / Etats-Unis / 2009)

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    capitalism.jpgCapitalism : a love story est bien sûr moins passionnant que les trois premiers documentaires de Michael Moore, il est même moins intéressant, du point de vue des tiraillements que provoquent les méthodes et les choix du cinéaste, que Sicko mais il se laisse voir plus sereinement que le trop vanté Fahrenheit 9/11.

    Marchant avant tout à l'émotion, Moore, qui sait pourtant mener des enquêtes efficaces et donner de nombreuses informations, a tendance à laisser de côté tout ce qui pourrait attester de la rigueur de sa démarche. Sur le plan purement documentaire, la même gêne que celle qui nous tenaille devant certains reportages télévisés peut affleurer ici ou là, le cinéaste ne lésinant pas sur les petits arrangement avec la réalité, notamment celle de la temporalité, que permet le montage (par exemple, les images des salariés de l'usine que l'on voit dans la première partie ont manifestement été tournées au moment de la grève que l'on nous décrit à la fin, alors que cette captation nous est présentée comme un retour de l'équipe sur les lieux). Malgré un découpage très (trop) vif, le film se traîne quelque peu sur ses deux heures, semblant s'éloigner de temps à autre du sujet, essentiellement par maladresse (le passage sur les pilotes d'avion). Les témoignages appellent un peu trop les larmes, ce que contrebalance heureusement quelques analyses éclairantes de spécialistes.

    S'il manque de véritables moments de cinéma comme Moore a pu en proposer auparavant, il faut reconnaître que les séquences de détournements d'images sont irrésistibles : l'introduction comparant la chute de l'empire romain à la situation actuelle des Etats-Unis, le discours rassurant de George W. Bush avec son arrière-plan truqué signifiant l'écroulement de l'économie ou la vie de Jésus en inventeur du capitalisme. Cette dernière séquence s'insère dans une partie qui a été injustement décriée (c'est même l'une des plus intéressantes), celle où l'on interroge des hommes d'église sur leur vision du système économique dominant.

    Le mérite de Michael Moore est en tout cas de faire un cinéma d'intervention, un cinéma sur le présent (je suis curieux de voir s'il va faire quelque chose touchant de près ou de loin à la présidence d'Obama, dont ne sont bien sûr évoqués ici que les débuts). Cette position, le nez sur la vitre, n'est certes pas la meilleure lorsqu'il s'agit de se coltiner à de vastes problématiques mais la dénonciation des agissements ahurissants des grandes entreprises et de leurs dirigeants (clairement nommés), qui tiennent le pouvoir politique en laisse, reste des plus salutaires. Comme l'est, malgré ses évidentes limites, l'ensemble de cette charge faussement naïve, donnant à voir quelques alternatives revigorantes et se faisant parfois étonnemment vigoureuse dans ses tentations de révolte.

    Faut-il rappeler qu'en France le pamphlétaire à succès se nomme Yann Arthus-Bertrand ?

     

    A lire aussi : les avis du Dr Orlof et de Rob Gordon.

  • Cahiers du Cinéma vs Positif (1978)

    Suite du flashback.

     

    C285.jpgPOS205.jpg1978 : Les Cahiers réduisant progressivement la part des écrits théoriques, on note plusieurs points de rencontre avec la revue rivale. Dans l'année, nous trouvons en effet de part et d'autre des ensembles sur Ozu, un soutien apporté aux nouvelles œuvres de Marker, Ferreri, Oshima, Cassavetes et Schrader et la redécouverte de Tod Browning. Les entretiens avec Jean Eustache, Raoul Ruiz ou Johan van der Keuken ne dépareilleraient pas non plus dans le Positif de l'époque.
    En février, les Cahiers changent de maquette et le comité de rédaction est élargi (y entrent notamment Jean-Claude Biette et Alain Bergala). Un entretien avec Patrick Brion sur le cinéma à la télévision précède de quelques mois la présentation par Louis Skorecki d'une nouvelle rubrique, "Les films à la télévision". En fin d'année, pour la revue, c'est Hitler, un film d'Allemagne qui crée l'événement.
    Dans Positif, au dossier Ozu, s'ajoute celui sur Mizoguchi. John Boorman est à nouveau célébré, tout comme un trio italien composé de Ferreri, Risi et Lattuada. Jean-Luc Pouillaude repousse le "nouveau naturel" de Claude Berri et de Pascal Thomas. La relation entre Bergman et Liv Ulmann est au centre du numéro de mars, alors que celui de juillet propose plusieurs textes sur le burlesque et le fantastique. Jean-François Stévenin est salué comme acteur (La tortue sur le dos de Luc Béraud) et cinéaste (Passe-montagne). Autres films mis en avant par Positif en 78 : Le dossier 51 de Michel Deville et L'arbre aux sabots d'Ermanno Olmi.

    Janvier : Rêve de singe (Marco Ferreri, Cahiers du Cinéma n°284) /vs/---

    Février : Monsieur Verdoux (Charles Chaplin, C285) /vs/ L'hérétique (John Boorman, Positif n°203)

    Mars : Voyage à Tokyo (Yasujiro Ozu, C286) /vs/ Une passion (Ingmar Bergman, P204)

    Avril : La chambre verte (François Truffaut, C287) /vs/ Fin d'automne (Yasujiro Ozu, P205)

    Mai : L'empire de la passion (Nagisa Oshima, C288) /vs/ Stay hungry (Bob Rafelson, P206)

    Juin : L'enfant aveugle (Johan van der Keuken, C289) /vs/ Insiang (Lino Brocka, P207)

    Eté : La femme gauchère (Peter Handke, C290-291) /vs/ The big kick (Warren Doane, P208-209)

    Septembre : Hitler, un film d'Allemagne (Hans-Jürgen Syberberg, C292) /vs/ Fedora (Billy Wilder, P210)

    Octobre : Opening night (John Cassavetes, C293) /vs/ L'homme de marbre (Andrzej Wajda, P211, )

    Novembre : Perceval le Gallois (Eric Rohmer, C294) /vs/ La vie d'Oharu, femme galante (Kenji Mizoguchi, P212)

    Décembre : Flammes (Adolfo G. Arrieta, C295) /vs/ Blue collar (Paul Schrader, P213)

     

    C293.jpgPOS207.jpgQuitte à choisir : Je n'ai pas une passion débordante pour ce Ferreri-là et j'ai beaucoup de réticences devant le Truffaut. Je serai en revanche curieux de découvrir le Van der Keuken, le Handke, le Schrader, le Brocka et le Syberberg. De plus, je ne connais toujours pas le Rohmer ni le Boorman. Peu de munitions donc, mais il me reste à jouer les classiques entre eux (Chaplin, Mizoguchi et les deux Ozu), puis Oshima et Cassavetes contre Bergman et Wajda. Allez, pour 1978 : Match nul.

    Mise à jour juin 2010 : Blue collar, ici.

    Mise à jour août 2010 : L'hérétique, ici.

     

    A suivre...

    Sources : Calindex & Cahiers du Cinéma

  • Silence et cri

    (Miklos Jancso / Hongrie / 1968)

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    Dans une ferme en pleine campagne hongroise vivent deux jeunes femmes, le mari de l'une et l'amant de l'autre, plus ou moins caché. Autour, des soldats et des policiers vont et viennent, surveillent les populations, exécutent certains hommes. Au détour d'une brève conversation, nous devinons que le pays a été repris en main après un épisode révolutionnaire et que le régime en place s'est appuyé sur des forces étrangères. L'introduction du film, un montage d'images d'archives de défilés militaires, nous avait fait auparavant situer l'action autour des années 20. Pour en savoir plus, il faut être hongrois et connaître l'histoire de son pays ou lire par ailleurs les entretiens d'époque de Miklos Jancso. En 1919 s'était instalée une république révolutionnaire (la République hongroise des Conseils). Elle ne perdura que quelques mois, étranglée qu'elle fut entre les puissances voisines (notamment la Roumanie) et les velléités de l'ancienne classe dirigeante. L'amiral Horthy finit par prendre le pouvoir et par entamer la répression envers les révolutionnaires.

    S'il nous échappe, compte tenu de l'absence d'explications, nous savons tout de même que le contexte historique de Silence et cri (Csend és kialtas) est tout à fait précis. Jancso traite ainsi d'un moment bien particulier de l'histoire hongroise mais le fait accéder en même temps à une représentation beaucoup plus universelle, à une réflexion très large sur la guerre, la violence et la domination. L'avantage qu'il en tire est notamment celui de ne pas tomber dans le même travers que Bergman avec La honte (1968 également) : un hermétisme et une théorisation excessive trop détachée du réel.

    silenceetcri1.jpg

    Dans Silence et cri, les données auxquelles le spectateur peut s'agripper sont rares, autant que le sont les dialogues. Ceux-ci sont la plupart du temps purement fonctionnels, se limitant souvent à exprimer un ordre ou au mieux une demande : "Ouvrez votre veste", "Montez", "Descendez"... Ils peuvent constituer les seules expressions entendues au cours d'une longue scène et, lorsqu'ils commandent une mise en mouvement, entraîner celui du cadre, soutenant une dynamique constante. Ces ordres proférés ne sont pas l'apanage des militaires car les civils en usent aussi, bien que moins fermement.

    L'approche de Jancso concernant les statuts de victimes et de bourreaux est bien plus profonde et dérangeante que la simple dénonciation d'actes d'oppression exercés dans une période difficile. Le cinéaste se garde bien de faire croire que tout se vaut et que la lutte pour un idéal est inutile, mais il fait très bien sentir la possibilité d'une réversibilité des situations (cela étant inscrit dans la forme même du film, par l'usage des figures circulaires ou par le retour de certains événements et de certaines compositions) et de la reconduction, à l'intérieur de l'un et de l'autre camp, des rapports de domination. Refusant toute approche psychologique des personnages, se plaçant à la même distance de chacun, s'appuyant avant tout sur la mise en scène de l'espace pour expliciter les rapports entre les individus, laissant planer régulièrement l'incertitude sur la finalité des actions entamées, Miklos Jancso excelle à décrire cette terrible zone grise dans laquelle évoluent les êtres en proie à la guerre (et en particulier la guerre civile, la guerre de "voisinage").

    silenceetcri2.jpg

    Cette démarche s'appuie sur une esthétique très particulière et d'une beauté à couper le souffle. Tout en plans séquences, l'art de Jancso est d'autant plus époustouflant qu'il ne vire jamais à l'esthétisme gratuit, au procédé systématique, à l'emprisonnement du regard du spectateur. Ces plans sont, dans leur grande majorité, des plans d'extérieur (quand ils ne le sont pas, la caméra profite des ouvertures pour faire entrer le hors-champ visuel ou sonore), ils suivent des individus toujours en mouvement et se croisant, le plus souvent en marche, ils ménagent sans cesse, aidés par le caractère elliptique des dialogues, la surprise des vis-à-vis, des entrées et des sorties de champs, ils se répondent l'un à l'autre (quand le premier du film montre l'exécution d'un partisan, le dernier démarre de la même façon mais l'axe de la caméra est opposé : le dénouement en sera donc différent), ils bruissent des frémissements de la nature et de la présence des chevaux, ils s'enchaînent par des raccords impeccables qui gomment gracieusement les larges sauts dans le temps et l'espace.

    Le formalisme de Jancso ne dévitalise rien. Si ses travellings tracent d'innombrables cercles, ils n'enferment pas le spectateur. Seuls les personnages semblent ne pas pouvoir trouver d'échappatoire. C'est que leur lutte doit être mener sur place, malgré l'appel d'un horizon infini et l'incitation à la fuite qui émane de la platitude du paysage. Jancso, ici comme ailleurs, aime à composer des plans séquences dans lesquels un homme commence à courir vers le lointain avant de rebrousser chemin devant l'arrivée de cavaliers ou tout simplement de lui-même.

    silenceetcri3.jpg

    Silence et cri se pose en quelque sorte, à la suite des Sans-espoir (1965) et de Rouges et blancs (1967), comme le troisième volet d'une admirable trilogie. Mon chemin (1965) et Psaume rouge (1972) recélent des beautés équivalentes. Il doit forcément y en avoir, dans la riche filmographie de Miklos Jancso, beaucoup d'autres.

     

    Photos : capture dvd Clavis

  • Le chevalier à la rose

    (Robert Wiene / Autriche / 1925)

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    chevalierrose.jpgLe nom de Robert Wiene est depuis longtemps écrasé sous le poids de son mythique Cabinet du Docteur Caligari (1920). Tout juste précise-t-on parfois qu'il est l'auteur de l'une des deux meilleures versions des Mains d'Orlac (1924, l'autre étant celle de 1935, signée par Karl Freund et interprétée par Peter Lorre). Pourtant, ce Chevalier à la rose (Der rosenkavalier), s'il ne se hisse pas au même niveau que les deux titres pré-cités, suscite suffisamment l'intérêt pour que l'on reste dorénavant à l'affût d'éventuelles restaurations et diffusions d'autres œuvres du cinéaste (qui en réalisa une bonne vingtaine entre 1914 et 1938).

    Tirée de l'opéra éponyme de Richard Strauss, l'histoire est celle d'un chassé-croisé amoureux, plus mélancolique que vaudevillesque, au cœur de l'aristocratie de la Vienne de 1750. L'entrée en matière est un peu difficile, les comédiens s'exprimant avec emphase et les caractères des personnages étant taillés dans le marbre : princesse délaissée par son général de mari, jeune chevalier transporté par l'amour, vieux baron vulgaire et désargenté à la recherche d'une jeune fille fortunée. Ces blocs de sensibilité invariables ne sont rendus acceptables que progressivement, par leur diversité et par leurs mises en relation au sein d'un récit finalement assez riche. La construction est habile : les différentes arborescences se déployant à partir de l'argument central gardent un intérêt égal. Les codes de la comédie, comme celui du travestissement, sont convoqués et l'on apprécie les deux moments "réflexifs" du film, une représentation théâtrale qui donne à revoir une scène bien réelle s'étant déroulée quelques temps auparavant et un bal masqué au cours duquel l'intrigue se boucle.

    Le style de Wiene est plutôt statique et la musicalité du montage n'est pas son fort. La perception de l'espace et du temps par le spectateur est ainsi, en divers endroits, malaisée (le montage fut apparemment rendu difficile par une sortie annoncée dans la précipitation). En revanche, Robert Wiene sait faire vivre ses arrière-plans, filmant le maximum de séquences en décors réels (rues, jardins, châteaux, auberges) et rendant très souvent celles-ci indifférenciables de celles réalisées en studio. Dans une scène comme celle située dans la chambre de la princesse, véritable point de départ du film, Wiene fait circuler une quinzaine de protagonistes sans les réduire à une simple figuration, saisissant une action dans la profondeur, jouant sur la présence d'un large rideau au fond de la pièce.

    Le dénouement voit l'amour triompher en plusieurs endroits, y compris le moins attendu, et il échappe à la sensiblerie grâce à la précision de l'agencement qui a précédé. Il est toutefois difficile de juger sur la durée car il manque la dernière bobine du métrage (la fin de l'histoire est racontée à partir du scénario, de la partition de Strauss et de quelques photos subsistant).

  • Bunny Lake a disparu

    (Otto Preminger / Grande-Bretagne / 1965)

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    bunnylake.jpgTout juste arrivée à Londres, où vit déjà son frère Steven, la jeune américaine Ann Lake vient chercher à l'école sa petite fille Bunny qu'elle a laissé le matin pour la première fois. Or, la gamine est introuvable et, plus surprenant, personne ne semble l'avoir remarquée dans le quartier et toute trace de sa présence, des vêtements aux jouets, a disparu du nouvel appartement fraîchement aménagé. Le policier en charge de l'enquête en vient à douter de l'existence de la petite Bunny et de la santé mentale de Ann, couvée par un frère très prévenant.

    Bunny Lake a disparu (Bunny Lake is missing) est un Preminger à la fois méconnu et très défendu par les admirateurs du cinéaste. Il est vrai que la réalisation est impeccable, que les décors, intérieurs ou extérieurs, sont filmés remarquablement, que les comédiens sont très justes, que l'intelligence s'affiche en toute occasion. Alors quoi ? Se pourrait-il que cette intelligence soit justement trop évidente ? Car chaque séquence m'a semblé extrêmement cérébrale, l'idée faisant souvent écran à l'émotion. Ainsi, la recherche de la poupée de Bunny conduit dans un sous-sol qui en est rempli et l'on pense à la symbolique, au lien mère-fille-poupée-ami imaginaire, au lieu d'être étonné ou inquiet. De même, le dénouement n'offre finalement qu'un long jeu d'esprit, là où la tension devrait être intenable.

    Le film ne m'a pas ému : voilà ma réserve principale. Un enfant disparaît et nous devrions être pris aux tripes, or les réactions des uns et des autres semblent à contre-temps, le rythme ne varie pas, jusqu'à glisser vers une sorte de ventre mou bavard, le temps de l'enquête, que l'on suit benoîtement (l'objet de celle-ci se décentre vers la mère et le couple quasi-incestueux qu'elle forme avec son frère). Entre réalisme social et onirisme, entre les plans-séquences virtuoses et les quelques zooms accusateurs déformant les visages, entre les choses qui sont tues et celles qui sont très brusquement révélées, le film cherche son équilibre. Dans les bras de l'oncle, la fillette paraît tout d'abord morte. Dans le pub, la musique des Zombies est là, mais elle est compactée dans un poste de télévision. Le style de Preminger est parfois très fluide (la fantastique séquence de l'évasion de l'hôpital) mais aussi très froid, comme une belle mécanique.

    A lire : un autre avis sur ce film.

  • Les fruits du paradis

    (Vera Chytilova / Tchécoslovaquie / 1970)

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    fruits6.jpgSavoureux coup de pied lancé à la morale et aux usages cinématographiques, Les petites marguerites avaient imposé en 1966 Vera Chytilova et son cinéma provocateur et ludique. Trois ans plus tard, avec Les fruits du paradis (Ovoce stromu rajskych jime), coproduction montée difficilement entre Belgique et Tchécoslovaquie, on observe que, si les outils sont les mêmes, l'ambition est décuplée, et que les chemins de la fable mènent cette fois-ci vers l'ésotérisme. Passé un prologue évoquant, à grands renforts de surimpressions, le paradis perdu par Adam et Eve, l'expérimentation recouvre un récit très vaguement situé et centré sur un triangle amoureux. Toutes les règles, qu'elles soient esthétiques ou narratives, sont transgressées par une Vera Chytilova cherchant à exacerber les singularités de sa vision artistique.

    La conséquence en est une ivresse auteuriste qui se retourne contre elle-même : l'érotisme devient purement cérébral, l'humour et la fantaisie paraissent sans objet, laborieux dans l'hommage au burlesque, et, pourrait-on dire, infantilisants, dans le sens où l'on entend rire comme rient parfois les enfants, pour rien. Surtout, puisque tout réel, toute incarnation, ont disparu, il est impossible d'échapper à la gratuité et à l'évanouissement du sens (c'était bien la confrontation avec la société qui faisait tenir le récit également fragmenté des Petites marguerites). Aucune logique ne parcourt les scènes, les rapports entre les personnages sont aléatoires et les mots proférés n'ont pas de valeur narrative (changer totalement les dialogues ne provoquerait pas de changement notable). Obscure, non par la complexité de son tissage mais par la reprise de symboles qui échappent ou qui n'intéressent pas, la trame ne parvient jamais à se transformer en récit.

    Considéré comme un catalogue surréaliste, Les fruits du paradis peut éventuellement satisfaire le curieux. En effet, la beauté plastique de la plupart des plans photographié par Jaroslav Kucera saute aux yeux, certains tendus entre les techniques d'animation chères à Jan Svankmajer (sans l'inquiétante étrangeté) et celles du cinéma muet (notamment dans la vitesse de défilement des images). L'œil est flatté et contemple une série de tableaux. Mais l'autonomie des séquences est accusée sans cesse par la débauche expérimentale. Comme pour toute démarche cinématographique radicale, il faut au moins prendre acte de celle de Vera Chytilova. Avouons qu'elle nous a toutefois semblé mener tout droit dans une impasse.

    (Chronique dvd pour Kinok)

  • C'était mieux avant... (Décembre 1984)

    Novembre passé, la fin de l'année approche. Il est temps de nous poser la question : mais que se passait-il donc dans les salles de cinéma françaises en Décembre 1984 ?

    sosfantomes.jpgLes enfants ont-ils été gâtés ? Le bébé Schtroumpf n'est guère resté dans les mémoires, malgré le coup de main donné à Peyo par Joseph Barbera et William Hanna, mais, pour rester dans l'animation, Le conte des contes regroupait en un seul programme plusieurs courts de l'un des maîtres du genre, Youri Norstein. La poule noire, film soviétique de Victor Gress, se présentait aussi comme un conte pour enfants. De plus, les gamins passionnés par la vie des animaux pouvaient traîner leurs parents voir Sauvage et beau, le documentaire de Frédéric de Rossif (sur la musique de Vangelis). En revanche, à qui étaient vraiment destinés Sheena, reine de la jungle (de John Guillermin, avec Tanya Roberts) et l'alléchant J'ai rencontré le Père Noël (de Christian Gion, avec Karen Cheryl) ?

    A l'époque, ayant passé l'âge de voir ce genre de choses, je m'étais déplacé pour suivre la treizième (!) aventure commune de Terence Hill et Bud Spencer et ce fut bien, pour moi, la dernière fois (Attention les dégats !, une vague histoire exotique à base de sosies, torchée par E. B. Clucher). Les deux grosses sorties américaines du mois, toujours au rayon "famille", avaient tout de même une autre allure puisqu'il s'agissait de Gremlins et de S.O.S. Fantômes, deux "dates" dans l'histoire de la comédie fantastique. Ni l'un ni l'autre ne doivent trop crouler sous le poids des ans et la revoyure ne doit pas être désagréable (malgré Bill Murray, un léger avantage devant certainement rester au Joe Dante par rapport au Ivan Reitman).

    Ciblant le "grand public", Nemo d'Arnaud Sélignac (coproduction franco-britannique) se voulait follement ambitieux. L'entreprise menée sur les chemins de l'imaginaire aboutit à un flop mémorable (le film, lui, ne l'est pas : je n'en garde aucune image en tête, au point de douter de l'avoir vu un jour). Dernier titre connu de mes services dans cette liste mensuelle : Paroles et musique d'Elie Chouraqui. En ce temps-là, j'aurai effectivement suivi Christophe Lambert dans tous ses déplacements (ici au Canada, avec Deneuve et Anconina). Aujourd'hui, je préfère protéger mes oreilles avant tout.

    matelot512.jpgEn décembre 84, le Père Noël avait déposé, à côté du paquet rose réservé aux adultes (Les cochonnes, La maison des mille et un plaisirs...), un panier garni de films de kung-fu : Le défi meurtrier du Tigre Noir (But Fu), La fureur de Shaolin (Tao Man Po), Les huit hommes d'or de Shaolin (Lin Bin), Les sept magnifiques du kung-fu (Kung Aug) et Les massacreurs du temple d'or (Chung Chi). On pouvait également tomber sur un film-opéra (Aïda, de Clemente Fracassi), sur de l'horreur post-nucléaire italienne (Les rats de Manhattan de Bruno Mattei), sur du thriller à la française (La septième cible de Claude Pinoteau, avec Lino Ventura)... ou encore, en vrac : Réveillon chez Bob (Denys Granier-Deferre), La femme ivoire (Dominique Cheminal), Hotel New York (Jackie Raynal), Partenaires (Claude d'Anna), Un été d'enfer (Michael Shock).

    Finalement, de ce programme semblent se détacher, aux côtés du Conte des contes et des deux comédies US pré-citées, trois titres singuliers : Le matelot 512, le mélodrame distancié de René Allio, Le pays où rêvent les fourmis vertes, nouvelle épopée de Werner Herzog (certes pas la plus réputée) et Bayan Ko, le thriller social subversif du philippin Lino Brocka.

    revuecinema400.JPGA la une de la presse cinéma, nous retrouvions Johnny Hallyday (Première, 93) et surtout François Truffaut, suite à sa disparition en octobre 1984 (Cinéma 84, 312, et Cinématographe, 105). Logiquement, Starfix (21) et L'Écran Fantastique (51), tout comme La revue du Cinéma (400), faisaient leur fête aux Gremlins. Positif (286) revenait sur le film de Michael Radford, 1984, et Jeune Cinéma (163) sur celui de Souleymane Cissé, Baara, sortis respectivement en novembre et octobre. Les Cahiers du Cinéma (366), de leur côté, prenaient un peu d'avance en affichant le Stranger than Paradise de Jarmusch.

    Voilà pour décembre 1984. La suite le mois prochain...

     

    Pour en savoir plus : Gremlins, Les rats de Manhattan & La septième cible vus par Mariaque, Le pays où rêvent les fourmis vertes vu par Shangols.

  • Barbe Bleue

    (Catherine Breillat / France / 2009)

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    barbebleue.jpgLa réussite d'Une vieille maîtresse (2007) nous laissait confiant pour la suite du virage imposé par Catherine Breillat à son cinéma. Ce Barbe Bleue, film (téléfilm ?) produit par Arte, est une confirmation. Tout d'abord, cette adaptation du conte de Perrault est d'une grande beauté plastique. Sans délaisser son style direct et frontal, Breillat peaufine des cadrages (et des recadrages) magnifiques : les plans ayant pour objet la mise en rapport de deux, voire de trois, personnages sont tous admirablement composés. A l'occasion, plongées et contre-plongées sont utilisées, de manière particulièrement intelligente, comme lors de la première rencontre entre Marie-Catherine et Barbe Bleue où sont inversées les proportions, l'axe de la caméra grandissant la jeune fille et écrasant "l'ogre", l'effet indiquant le caractère inhabituel de l'histoire qui se noue (il est ainsi "écrit" que, cette fois-ci, Barbe Bleue ne parviendra pas à ses sinistres fins). Très belle, très pure, la mise en scène s'organise en tableaux et ne cherche pas à alléger le poids des décors "réels", à y fondre à tout prix les personnages, à combler artificiellement le fossé entre ce temps et le nôtre, par la musique, l'éclairage ou la mobilité du cadre. La langue parlée ici semble parfois d'hier, parfois d'aujourd'hui. L'équilibre est donc précaire mais sans doute cette fragilité insuffle-t-elle la vie nécessaire à chaque plan.

    Un autre des plaisirs du film est à chercher dans le montage, de l'intérieur des séquences jusqu'à la construction d'ensemble, qui prend appui sur deux temps différents, celui du conte et celui d'un passé proche (l'enfance de Breillat ?) dans lequel deux fillettes fouillent le grenier familial, s'emparent d'un livre et lisent Barbe Bleue. Les retours sur ces deux gamines au jeu pour le moins inégal peuvent rebuter et ce n'est bien évidemment pas là que l'on trouvera les plus grandes beautés du film, mais force est de constater que les articulations entre les deux niveaux sont fort bien agencées par Breillat, cela sur toute la longueur. Ces retours ont une utilité et une signification variables, ce qui ménage bien des surprises. La première occurrence n'étant pas située en introduction mais dans un récit déjà entamé, le statut de ces images est d'abord incertain. Puis, une fois la chose rendue claire, ces apartés, alternativement, prennent la valeur d'un commentaire contemporain sur le conte, propulsent son illustration ou la remplace, créant une ellipse fulgurante. Et au moment où l'on s'y attend le moins s'opère une fusion des deux mondes, Breillat détournant la mise en scène du "clou" de l'histoire, la rendant à la fois plus distanciée et plus intense. Car ce qui intéresse avant tout la cinéaste, c'est d'interroger l'imaginaire, de voir comment le conte peut "travailler" son lecteur, a fortiori si celui-ci est une toute jeune fille confrontée à ses désirs et à ses peurs. Thématiquement, Barbe Bleue reste donc parfaitement dans la lignée des œuvres précédentes, mais l'on peut se demander si du point de vue esthétique, il n'est pas plus beau que les autres (les gros plans des visages, le retour vers la maison en calèche avec les deux sœurs en larmes et la lumière qui perce, la tension, augmentée par la présence du vent, que génère le "noircissement" des robes des filles par la mère, l'abrupt montage des plans lors du départ de Barbe Bleue...).

     

    Un autre point de vue sur Balloonatic.