(Frederick Wiseman / France / 2009)
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L'institution que Frederick Wiseman a décidé de radiographier cette fois-ci est l'Opéra de Paris. Il le fait en long, en large et en travers, filmant aussi bien le bureau de la directrice artistique que les ruches sur le toit du bâtiment ou le dédale des sous-sols. Toutefois, l'essentiel se passe bien sûr au cours des répétitions et des représentations.
Wiseman reprend sa démarche habituelle : pas de voix-off, pas d'inscriptions sur l'écran, pas d'entretien, pas d'intervention. Il construit son documentaire en faisant se succéder de grands blocs de séquences se déployant en des espaces que l'on quitte toujours sur la pointe des pieds avant de se retrouver dans le suivant (le son d'ambiance diminue progressivement et la transition se fait à l'image par l'insertion de quelques plans de coupe fixes sur les lieux intermédiaires, portes, couloirs, escaliers).
Une narration classique impose, dans ce genre de sujet, de décrire une évolution allant des répétitions à la représentation. La danse n'y obéit qu'en apparence, la trame se complexifiant sans cesse, le fil revenant sur lui-même. Cela est dû notamment au nombre important de ballets en préparation (nous en suivons une demie-douzaine) et au saupoudrage d'instantanés échappant à ce mouvement tendu vers un seul point puisqu'ils concernent des activités moins visibles bien qu'essentielles (services de confection, de nettoyage...).
L'enregistrement des répétitions provoque tout de suite la fascination. Les instructions incessantes des maîtres de ballet et des chorégraphes aux danseurs nous aident à saisir les infimes mais ô combien importantes variations pouvant émaner d'un mouvement ou d'une pose. Tension, retenue, délié, harmonie... Il s'agit de mettre un mot sur chaque geste. Le mouvement est morcellé, chaque segment est scruté, suspendu, soupesé, repris, modulé de façon à obtenir en bout de course, une unification parfaite, une libération de flux ne rencontrant aucun obstacle. Le travail, au final, ne doit plus se faire sentir, le danseur accédant progressivement à un état second. L'effort s'efface et le mystère entoure la scène. Le cinéma, art du mouvement, ne peut que sortir grandi de cette magnifique auscultation.
Lors de la représentation, le costume recouvre de son voile opaque les petites imperfections et prolonge les mouvements au-delà du corps alors que la lumière découpe et précise encore les gestes. De même, la coupe sociologique qu'exerce Wiseman ne vise pas seulement à l'information, par le montage et la gestion du temps, elle tend aussi à donner au final une forme harmonieuse à tous ces segments.
Une réunion est organisée afin d'informer les danseurs sur la réforme des régimes spéciaux de retraite, la directrice évoque au téléphone l'hommage rendu à Maurice Béjart après sa mort, des masques morbides trônent dans la réserve de l'accessoiriste, on s'interroge sur l'âge des danseurs, on monte Le songe de Médée (les cadrages, ailleurs larges, se resserrent, rendant l'intensité du ballet, ménageant la surprise des intrusions et de la violence), on descend vers les égouts, les plans extérieurs de nuit et d'aurore se succèdent... Ainsi, à mi-chemin, La danse prend une ampleur incroyable en rendant compte d'une lutte contre le temps et d'une cyclique renaissance (la jeune danseuse et ses progrès, l'éternel retour aux répétitions), et s'étire, sur un rythme étrange, comme si Wiseman ne voulait pas en finir.




Rien à redire sur le plan purement technique. Cars est un régal d'animation dans le rendu des matières, dans la fluidité des mouvements, dans l'homogénéité visuelle de l'ensemble des séquences et Lasseter sait parfaitement créer une dynamique narrative. La carrosserie est donc nickel et le moteur tourne impeccablement. Malheureusement, il n'y a rien ni personne dans l'habitacle.

A l'aide de sa petite caméra numérique, Alain Cavalier filme autour de lui tout ce qui peut évoquer Irène, sa compagne décédée il y a près de quarante de cela. Il cadre des objets, du mobilier, des pièces, des paysages susceptibles de se recharger de sa présence. Se situant à l'une des extrémités du spectre du cinéma, le film contient tout de même, en son centre, une sorte de morceau de bravoure (preuve qu'il y a bien, malgré les apparences, une dramaturgie) : le récit de ce terrible après-midi de janvier 1972, au cours duquel Alain Cavalier perdit sa femme. La séquence est bouleversante au point de nous faire dire qu'une telle chose, si proche de l'indicible, ne peut finalement être racontée et partagée que comme cela, en passant par une remémoration clinique des faits et des gestes dans les lieux inchangés du traumatisme. Cette déambulation dans un salon sous-éclairé et vide de toute présence humaine autre que celle du cinéaste derrière sa caméra dit tout de l'absence et traduit très précisément l'interrogation insoutenable et paralysante, la montée de l'angoisse et l'incompréhension.
Retraçant l'histoire du "prisonnier le plus dangereux d'Angleterre", "ce film est basé sur des événements réels". Bien avant le terme des quatre-vingt dix minutes, on se dit pourtant que non seulement Nicolas Winding Refn a pris un malin plaisir à bousculer les règles du biopic traditionnel, mais qu'il a surtout réussi à éviscérer le genre, à le vider littéralement de sa morale, de son idéologie, de ses visées édifiantes. Le cinéaste danois n'est bien évidemment pas le premier à jouer au déconstructeur de biographie. En revanche, l'ironie féroce avec laquelle il recouvre le passage obligé des souvenirs d'enfance et d'adolescence démontre bien le peu de cas qu'il fait de la recherche d'un éclairage psychologique sur son héros. De plus, le véritable Michael Peterson, alias Bronson, est devenu une personnalité reconnue exposant ses œuvres dans les musées internationaux. Or, la dernière partie du film substitue à la découverte salvatrice et apaisante de l'art plastique un happening violent et absurde.

Capitalism : a love story est bien sûr moins passionnant que les trois premiers documentaires de Michael Moore, il est même moins intéressant, du point de vue des tiraillements que provoquent les méthodes et les choix du cinéaste, que 
1978 : Les Cahiers réduisant progressivement la part des écrits théoriques, on note plusieurs points de rencontre avec la revue rivale. Dans l'année, nous trouvons en effet de part et d'autre des ensembles sur Ozu, un soutien apporté aux nouvelles œuvres de Marker, Ferreri, Oshima, Cassavetes et Schrader et la redécouverte de Tod Browning. Les entretiens avec Jean Eustache, Raoul Ruiz ou Johan van der Keuken ne dépareilleraient pas non plus dans le Positif de l'époque.
Quitte à choisir : Je n'ai pas une passion débordante pour ce Ferreri-là et j'ai beaucoup de réticences devant le Truffaut. Je serai en revanche curieux de découvrir le Van der Keuken, le Handke, le Schrader, le Brocka et le Syberberg. De plus, je ne connais toujours pas le Rohmer ni le Boorman. Peu de munitions donc, mais il me reste à jouer les classiques entre eux (Chaplin, Mizoguchi et les deux Ozu), puis Oshima et Cassavetes contre Bergman et Wajda. Allez, pour 1978 : Match nul.